En école maternelle, les toilettes sont des lieux d’apprentissage informels aux multiples problématiques. Accompagnée des chercheurs Lucette Colin, Aymeric Brody et Pascal Garnier, Gladys Chicharro, ethnologue, a mené l’enquête et est allée en immersion dans les écoles maternelles de la région parisienne. Aujourd’hui, elle répond à nos questions.

Les enfants doivent-ils être propres pour rentrer à l’école maternelle  ?

Les textes officiels restent évasifs sur la question, précisant seulement que les enfants doivent avoir acquis « une propreté régulière et suffisante », ce qui peut être interprété de bien des manières  ! En revanche, ce qui apparaît évident, c’est que les enfants ne doivent pas porter de couche, car l’école n’est pas adaptée. Il n’y a pas de lieu de change et les enseignants et les ATSEM considèrent que ce n’est pas leur rôle. Toutefois, à l’arrivée en maternelle, on a pu constater qu’environ 30 % des enfants ne sont pas encore propres, ce qui n’inquiète pas les enseignants, convaincus que la vie en collectivité va permettre aux tout-petits de le devenir rapidement. D’autant qu’éloignés de la sphère familiale, les enfants n’ont plus une place de bébés, mais d’élèves… ce qui, d’après les enseignants, les responsabilise et les fait grandir  !

Est-ce que ce sont les enfants qui demandent spontanément à aller aux toilettes ou cela se fait-il en collectif  ?

Les enfants peuvent demander à aller aux toilettes quand ils en ressentent le besoin. Mais, à partir de la moyenne section, certains enseignants peuvent refuser la requête d’un élève, considérant, par exemple, qu’il aurait dû prendre ses précautions et faire ses besoins pendant la récréation. En petite section, des rituels de passage collectif aux toilettes sont instaurés avant la récréation, la cantine ou la sieste, par exemple. Ces arrêts aux cabinets permettent aux enfants qui n’osent pas demander ou qui sont trop plongés dans leurs jeux de se soulager avant qu’un accident ne se produise. Car, même si les petits accidents pipi sont acceptés, ils se révèlent souvent difficiles à gérer en raison des locaux inadaptés et du faible nombre d’adultes par rapport au nombre d’enfants. Les accidents caca sont en revanche souvent moins bien tolérés par les professionnels. Pour certains, le caca, c’est «  sale  » ou «  pas beau  ».

Est-ce que l’école influence la perception que les enfants ont des selles  ?

Les propos que tiennent certains adultes et les autres élèves sur le caca ont bien sûr des répercussions sur la vision qu’en aura l’enfant. Ainsi, à l’école, le caca devient souvent un élément «  mauvais  », «  méchant  » et qui «  sent pas bon  ». Alors qu’à la maison faire caca est une fierté, car les parents félicitent souvent leur enfant, à l’école, on apprend que les excréments inspirent le dégoût et entraînent des moqueries entre camarades. D’ailleurs, une enfant nous a même signalé que le caca «  à l’école ça pue, à la maison ça pue pas  », ce qui en dit long  !  

Est-ce que les enfants font tous leurs besoins à l’école  ?

Pas vraiment. Nous avons pu constater que les tout-petits se retiennent très souvent de faire caca, notamment parce qu’à l’école aucun adulte n’essuiera les fesses des enfants, sous prétexte qu’ils doivent se débrouiller seuls, «  devenir autonomes  ». Mais, à 2-3 ans, la plupart des tout-petits n’ont pas encore les capacités motrices de s’essuyer eux-mêmes. Ce discours permet en réalité, consciemment ou inconsciemment, de mettre une certaine distance avec le corps de l’enfant, et d’échapper ainsi à toute accusation de pédophilie. Ainsi, parce qu’ils savent qu’ils ne pourront pas avoir les fesses propres après leur passage aux toilettes, les enfants évitent d’aller à la selle à l’école… d’autant que ce besoin demande aussi du temps  ! Or, lorsqu’une classe entière passe aux toilettes, il faut aller vite, d’autant plus que le nombre de cuvettes est très limité. Ce n’est pas pour rien si, lorsqu’on demande aux enfants de représenter les toilettes, ils dessinent souvent des files d’attente. Ainsi, pour faire caca, la plupart des enfants attendent d’être à la maison, contraignant alors leur rythme physiologique et leurs corps… ce qui entraîne des douleurs et des constipations.

Que pensent les parents du fait que leurs enfants ne soient pas essuyés à l’école  ?

La plupart des parents sont au départ assez surpris. Mais ils n’osent pas vraiment en parler, puisqu’on leur tient un discours d’autonomie. Pire encore, ils pensent que, si leur enfant n’arrive pas à s’essuyer seul, c’est peut-être parce qu’ils ont manqué quelque chose dans son éducation. Mais il y a peu de discussions autour de la question, qui reste taboue… De fait, les parents participent à l’inscription de ce rythme du corps des enfants, en les incitant à aller aux toilettes le matin avant de partir à l’école, par exemple.

Y a-t-il une notion de pudeur et un besoin d’intimité qui entrent en jeu à cet âge-là  ?

En petite section, nous n’avons pas observé de gêne particulière de la part de la majorité des enfants. Les toilettes deviennent même un lieu où ils découvrent leur corps et s’intéressent aux différences sexuées. Face à cette curiosité, les enseignants sont plutôt tolérants. Cependant, aujourd’hui, la prise en compte du droit à l’intimité des enfants est de plus en plus affirmée, et celle-ci se matérialise par l’apparition de cloisonnettes. Les enfants comprennent alors qu’il existe une démarcation entre ce qui doit être caché ou montré, et qu’il ne faut pas déranger l’autre lorsqu’il est aux toilettes. Malgré tout, par souci de sécurité, il n’y a pas de portes. Or, nous avons pu entendre des enfants de grande section se plaindre de ne pas avoir de cabines qui ferment… Les revendications d’intimité sont donc plus importantes en grandissant.

Pourquoi n’y a-t-il pas de différenciation de genre dans les toilettes de maternelle ?

Jusqu’à un certain âge, les enfants sont perçus en dehors de la sexualité. C’est pourquoi les toilettes ne sont pas genrées jusqu’à l’école primaire. Toutefois, la présence d’urinoirs réintroduit dans ce lieu une séparation entre filles et garçons, car c’est le seul équipement qui n’a pas une utilisation commune. D’ailleurs, nous avons remarqué que les enfants parlent des urinoirs comme étant les toilettes des garçons et des cuvettes comme étant celles des filles. D’autre part, en inculquant aux petits garçons la pratique du pipi debout, que, pour la plupart, ils ne connaissaient pas jusque-là, l’école participe inconsciemment à la fabrication des corps genrés, puisque les deux sexes n’urinent plus de la même façon. Les toilettes scolaires concourent donc involontairement à la construction du genre.

Est-ce que les toilettes sont uniquement réservées aux besoins physiologiques  ?

Pas du tout ! Les toilettes sont aussi un lieu de socialisation très intéressant, en particulier celles de la cour, dans lesquelles les enfants peuvent aller seuls aux récréations. Ils s’y réfugient, à l’abri du regard des adultes, pour s’y raconter des secrets… et détourner les équipements  ! C’est en effet un lieu carnavalesque, où nous avons pu voir les tout-petits s’éclabousser, recracher l’eau qu’ils ont dans la bouche sur les copains, apprendre à faire des boulettes de papier qu’ils vont ensuite jeter au plafond, etc. Évidemment, les enseignants et ATSEM peuvent être amenés à remettre un peu d’ordre dans les toilettes si les débordements vont trop loin. Mais, globalement, ils savent à quel point cet espace est important pour le développement des enfants. De plus, c’est aussi un lieu de fantasme, qui cultive leur imagination. Souvent, les tuyaux de canalisation sont apparents, ce qui les interroge et les pousse à croire que des monstres s’y cachent. Surtout que les cabinets sont parfois situés au fond de couloirs très sombres et effrayants, ce qui participe à ce «  folklore  » enfantin.

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Pour en savoir plus : Les «  Petits Coins  » à l’école. Genre, intimité et sociabilité dans les toilettes scolaires, Aymeric Brody, Gladys Chicharro, Lucette Colin et Pascale Garnier, Érès, 23 €.

Dossier réalisé par Marie Greco.