Gros monstre à pustules ou petit monstre à dents pointues… il vient forcément un jour (ou une nuit) où le monstre vient s’immiscer dans les rêveries des enfants. Mais, ce monstre, qui est-il ? Pourquoi apparaît-il soudain ? Virginie Martin-Lavaud, psychologue clinicienne et docteur en psychopathologie, nous éclaire sur ce que révèlent les monstres de nos enfants.
Comment les enfants conçoivent-ils les monstres ?
Virginie Martin-Lavaud : En fonction de leur âge, les enfants ont différentes perceptions du monstre. Autour de 2 ans et demi-3 ans, ils peuvent commencer à exprimer une inquiétude face à un monstre. Mais, si on leur demande de le décrire, on s’aperçoit qu’ils n’en ont pas d’image précise. Ils disposent simplement du mot («)monstre( ») pour traduire une incertitude, une crainte. Vers 5-6 ans, en fonction de leur culture et des images qu’ils ont intégrées (à travers les contes ou les dessins animés, par exemple), les enfants vont y projeter la forme qui leur convient. Le monstre est donc un signifiant : c’est un mot ouvert, qu’il faut habiter, et qui a une forte valeur symbolique.
Que nous disent les monstres de nos enfants ?
V. M.-L. : L’apparition du monstre dans l’imaginaire de l’enfant vient traduire un questionnement, lui permettant de dire : « Il y a quelque chose que je ne sais pas, que je ne parviens pas à maîtriser, et cela m’inquiète ». Un enfant qui a peur d’un monstre est, en réalité, en train d’organiser ses affects et ses pulsions. Il fait un travail psychique, interrogeant la réalité qui l’entoure et ce qu’il ressent. Cela signifie qu’il est en train de devenir « acteur » de sa vie : habité par de nombreuses images, il est capable de prendre du recul par rapport à ses impressions. Quand les enfants sont capables d’évoquer les monstres qui les hantent, c’est qu’ils sont en train de s’ouvrir au monde. Cela correspond généralement à la période où ils entrent à l’école.
Les monstres ne permettent-ils pas aussi d’interroger les limites de l’humain ?
V. M.-L. : Si, bien sûr. Vers 3-4 ans, l’enfant découvre qu’il est sexué, que cela a des incidences biologiques, éducatives et psychologiques sur sa vie. Le monstre, lui, peut posséder les deux sexes à la fois ! En ce sens, le monstre figure pour l’enfant ce qu’il ne peut plus être, ce qui fait partie de la mythologie, c’est-à-dire ce qui existait avant l’avènement de l’humain. Parfois, on appelle un enfant « petit monstre » : cela souligne sa nature pulsionnelle (il fait ce qu’il veut, quand il veut). Progressivement, l’éducation des parents et de l’école va lui inculquer des codes sociaux et le sortir de ce statut de petit monstre. L’enfant commence à comprendre que, contrairement au monstre, il n’est pas tout-puissant : il est faillible, il est mortel, il doit se plier à des règles. Cette période de « castration » va inquiéter l’enfant. En grandissant, certains enfants vont représenter des monstres très menaçants : avec de grandes dents, ou avec des lames à la place des mains, exprimant ainsi leur désir de toute-puissance. Le monstre pose aussi la question de la normalité, qui interroge le biologique et le savoir sur le monde.
Les monstres sont-ils toujours inquiétants ?
V. M.-L. : Les monstres donnés par la culture, qui apparaissent au sein d’une histoire et sont nommés, ne sont pas forcément inquiétants. Ce sont des monstres « extérieurs » aux enfants. Le Centaure, par exemple, est un monstre dans le champ de la culture, qui ne sera pas adopté par un enfant comme étant « son » monstre. Ainsi, lorsque le monstre a un nom, il figure plutôt le familier, le pulsionnel. Autre exemple, Shrek, le célèbre ogre vert, est définitivement du côté de la jouissance anale : il pète, rote, dit des gros mots. Ce n’est pas un monstre qui va effrayer l’enfant, mais il va lui permette de construire son savoir sur le monde.
Comment rassurer un enfant qui fait des cauchemars, qui a peur des monstres ?
V. M.-L. : Le cauchemar est une expérience (la première, peut-être), où au cours de laquelle l’enfant se rend compte que ses parents ne peuvent pas toujours venir à son secours. Il est confronté à une solitude existentielle. Le monstre, permettant à l’enfant de définir l’inquiétant, va lui permettre, en contrepartie, de définir le familier (cf. Freud, L’Inquiétante Étrangeté). La peur du monstre va ainsi aider l’enfant à rejeter ce qui l’inquiète et à déterminer les formes qui vont lui être bienveillantes et le rassurer. L’enfant devrait comprendre peu à peu, par la construction de son savoir esthétique, par la connaissance de ce qu’il estime être bienveillant ou malveillant, que c’est à lui-même de se rassurer. Cependant, il ne faut pas oublier que les enfants font des cauchemars quand ils n’ont pas les mots pour dire ce qui les effraie. On peut donc les inviter à raconter ce qui leur a fait peur, et, s’ils n’y parviennent pas, à le dessiner ou à le jouer. Généralement, les parents connaissent les expériences qui peuvent être à l’origine de l’inquiétude de leur enfant et parviennent à le rassurer.
Le Monstre dans la vie psychique de l’enfant, Virginie Martin-Lavaud, Érès, 2009.
Propos recueillis par Camille Moreau