Psychologue et psychomotricienne, Edwige Egger-Havet exerce en libéral et dans des institutions très diverses toujours liées à l’enfance et à la famille. Très présente dans le domaine de la protection maternelle et infantile (PMI), dans les crèches et les écoles, elle observe les enfants depuis de nombreuses années, avec un intérêt particulier pour les relations qu’ils cultivent entre eux. Elle nous parle des sentiments amoureux des enfants entre 3 et 6 ans.
À quel âge un enfant commence-t-il à ressentir des sentiments amoureux ?
Edwige Egger-Havet : Il n’y a pas d’âge pour être attiré vers un autre, les échanges des enfants en crèche le montrent dès 1 an. Vers 3-4 ans, la conscience de la différence sexuelle active la découverte du corps de l’autre, autant que du sien, fille ou garçon. La notion d’amour est plus souvent véhiculée par les parents qui mettent des mots sur l’attirance et les sentiments d’affection privilégiés envers un(e) autre enfant. L’enfant se l’approprie car ce sentiment est souvent valorisé par ses parents, il en sera d’autant plus investi. Je dirai que ces sentiments électifs se manifestent plus souvent en fin de maternelle, vers 5 ans et plus.
Comment le sentiment amoureux se manifeste-t-il chez l’enfant ?
Edwige Egger-Havet : L’enfant recherche la compagnie de l’autre dans la cour, dans la classe… Il en parle beaucoup à ses parents, il se rapproche de l’élu(e) de son cœur lors des activités, à chaque occasion. L’enfant est heureux de voir son « amoureux(se) ». Ses yeux brillent, il sourit ou est plutôt timide… comme les grands, quoi !
En général, la notion de sentiment amoureux est évoquée par les parents ou l’entourage de l’enfant lorsqu’il s’agit d’une amitié élective pour un enfant de l’autre sexe. Sinon, les parents parlent d’amitié. Des étreintes et des bisous font aussi partie du tableau amoureux.
Certaines attitudes doivent-elles inquiéter les parents ? Que faire si les enfants jouent à faire l’amour ?
Edwige Egger-Havet : Les enfants aux environs de 4-5 ans jouent souvent à se montrer et/ou à toucher leur sexe, pour comprendre et voir les différences qu’ils perçoivent. Ce comportement d’exploration est tout à fait naturel et sain lorsqu’il est partagé et consenti par chacun. Trop d’enfants ont par le passé été culpabilisés de cette découverte fondamentale et constructrice de leur identité. En revanche, toute attitude d’un enfant qui demande à un autre de se déshabiller pour le regarder ou le toucher sans son consentement est la marque d’une attitude déplacée qu’il faut proscrire à tout prix, en l’avertissant que nul ne fait ce qu’il veut du corps de l’autre. Il convient d’expliquer à son enfant, sans l’alarmer (donc pas trop tôt), qu’il ne doit pas accepter de voir ni d’être vu nu, encore moins de toucher ou d’être touché par qui que ce soit, s’il ne le souhaite pas. Les jeunes enfants, s’ils disent jouer à faire l’amour, se font des bisous ou s’étreignent. Il me semble important de leur laisser leur intimité exploratoire, sans intervenir dans leurs jeux. Ils ne s’y trompent d’ailleurs pas, en se découvrant mutuellement dans des lieux où ils ne peuvent être vus des adultes…
Par contre, un comportement qui ressemble à l’acte amoureux est alertant. Cela signifie que l’un ou les deux enfants ont déjà vu des scènes sexuelles, entre les parents ou sur des vidéos. Les parents doivent veiller à fermer la porte de la chambre conjugale et à garder leur intimité hors de portée des enfants, sans parler des films érotiques ou pornographiques.
Les amours infantiles ont-elles une influence sur les relations futures ?
Edwige Egger-Havet : Si les enfants vivent librement leurs explorations et leur sentiment amoureux, sans culpabilité ni restriction de leurs élans, cette expérience favorisera sans aucun doute l’établissement d’un abord sain de la sexualité adolescente, puis adulte. La sexualité en tant que telle n’existe pas chez les enfants, il est donc primordial de les en tenir éloignés, tant dans le discours que dans les actes. Ceci n’empêche nullement que les parents échangent des étreintes et des bisous devant les enfants. C’est leur montrer que l’amour existe et que leurs parents s’aiment !
Faut-il s’inquiéter si son enfant n’a pas d’amoureux ou d’amoureuse ?
Edwige Egger-Havet : Un enfant qui n’a pas d’amoureux(se) attitré(e) peut quand même explorer la différence sexuelle. Il n’y a donc pas lieu de s’alarmer. Ce peut être une inhibition mais tout aussi bien un territoire qu’il n’a pas encore découvert ou bien qu’il garde secret. Il n’y a aucune règle en la matière !
Comment se comporter en tant que parents ? Quelle distance adopter ?
Edwige Egger-Havet : S’intéresser à la vie de son enfant est toujours une manifestation de l’amour parental. Vouloir savoir à tout prix ce qu’il vit, à l’école ou dans son intimité, est une intrusion qui risque à terme de bloquer la communication et la confiance qu’il a en lui et en ses parents.
Et en cas de peine de cœur ?
Edwige Egger-Havet : Accueillir ses joies, ses peines, ses questions, est la porte ouverte à grandir affectivement dans la sécurité du lien avec ses parents. Pouvoir l’entendre sans s’identifier à lui, c’est lui permettre de faire face à la vie et à ses épreuves en confiance. S’attendrir sans vivre ce qu’il ressent, c’est signer la différence des générations et lui exprimer votre amour empathique mais rassurant !
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