Depuis 2003, l’ONG Pédiatres du Monde regroupe des soignants bénévoles, pour des missions au Laos, en Haïti, mais aussi en France auprès des populations migrantes et roms. Sa présidente, le docteur Chantal Karila-Beaulier, répond à nos questions…
Quelles sont vos différentes actions ?
Chantal Karila-Beaulier : Notre objectif est d’améliorer de façon durable la santé des enfants et des mères dans le monde. Ainsi, nous menons des programmes de long terme (soins des enfants, vaccinations, suivi des femmes enceintes, éducation pour la santé des familles, etc.), mais nous accompagnons aussi les professionnels de santé locaux, grâce à des formations et du partage d’expérience. Cela permet de pérenniser l’aide aux familles. Aujourd’hui, nous sommes présents au Laos, au Cambodge, en Guinée, en Haïti, au Maroc, au Togo, mais aussi en Moldavie.
Vous intervenez également en France ?
C. K.-B. : Oui, dans les Hauts-de-France mais également en Île-de-France. Dans ces deux régions, nous venons en aide aux populations roms et migrantes qui n’ont pas accès aux soins : nous proposons des consultations, organisons des vaccinations, etc.
Humanitaires en France ?
Depuis 2010, Pédiatres du Monde intervient à Lille et à Ivry-sur-Seine, auprès des enfants de la communauté rom et des populations migrantes. Cette initiative est partie de plusieurs constats. De nombreux médecins souhaitent en effet s’engager, mais n’ont pas la possibilité de partir à l’étranger avec une ONG. Mais, surtout, il est parfois difficile pour les communautés de passage de connaître l’existence de consultations et d’y venir. Pédiatres du Monde a choisi de se rendre directement dans les centres d’hébergement : ici aussi, pédiatres, infirmières, sages-femmes s’investissent. En 2020, à Lille, ils ont réalisé 483 consultations et 452 vaccinations.
Comment se met en place votre aide humanitaire ?
C. K.-B. : Nous répondons le plus souvent à la demande d’une association locale. Par exemple, en Guinée, c’est un enseignant guinéen vivant en France qui nous a amenés à travailler dans une région précise du pays. Ensuite, des missions exploratoires sont organisées pour préciser les besoins, rencontrer les autorités, vérifier que la demande correspond à nos objectifs, etc. Une fois programmés, nos projets ont une durée initiale de trois ans, sous forme de missions courtes d’une à trois semaines et répétées au même endroit, environ six fois par an, pour assurer une continuité.
La relation mère-enfant est au cœur de votre travail…
C. K.-B. : Oui. Le travail du pédiatre commence à la naissance de l’enfant, au moment de l’accouchement et jusqu’à l’adolescence. Nous sommes persuadés qu’un enfant naît dans de bonnes conditions si la grossesse de sa mère se passe bien, c’est-à-dire si elle est bien nourrie, si elle est suivie médicalement. Lors de nos missions, tous les professionnels de la santé de l’enfant et de sa mère peuvent être présents comme des sages-femmes, des obstétriciens. Au Cambodge, par exemple, nous menons un programme autour de la néonatologie : dans ce pays, le taux de mortalité des nouveau-nés lors de l’accouchement est élevé, mais celui de l’enfant dans le premier mois de vie également. Cela est dû en partie à une mauvaise nutrition des femmes, à un manque de suivi médical des grossesses et à une prise en charge des bébés lors de l’accouchement insuffisante.
Qui sont vos bénévoles ?
C. K.-B. : La majorité de nos 300 adhérents sont des pédiatres ou des professionnels de santé de l’enfance : puéricultrices, sages-femmes, dentistes, psychomotriciens. Ils sont tous animés par une envie d’aider. Dans les pays où nous intervenons, les soignants disposent de très peu de moyens (laboratoires, radios, appareils…). La médecine humanitaire est une médecine très clinique, basée sur l’observation d’un patient, de ses symptômes, mais aussi sur l’échange avec les parents. Or, ce temps de consultation est le cœur de métier des pédiatres. L’humanitaire met en exergue le sens premier de nos métiers. Et l’un des objectifs prioritaires de l’ONG est de partager du savoir et des compétences avec les professionnels locaux. Il me semble que ce partage fait partie des valeurs importantes de la démarche humanitaire. Enfin, nos bénévoles sont aussi animés par la découverte d’autres cultures et d’autres façons de penser leur métier. En mission, nous pouvons être interpellés, en tant que médecins occidentaux, par les médecines traditionnelles, les croyances, les rites, mais aussi, par exemple, par des refus de soins.
Quel est l’état de santé de ces enfants ?
C. K.-B. : De manière générale, les taux de mortalité et de morbidité infantiles sont très élevés. Mais chaque pays est particulier. Au Laos, par exemple, nous sommes confrontés à un manque de moyens auquel vient s’ajouter un manque de connaissance de la prise en charge de l’enfant. Au Maroc, les régions où nous nous rendons sont isolées, alors que dans les grandes villes, les populations ont plus facilement accès aux soins. Au Cambodge, nous avons un programme de santé bucco-dentaire dans les écoles qui nécessite des accès à l’eau. En Moldavie enfin, qui est tout de même un pays plus riche, nous avons un programme de formation des médecins pour la prise en charge de l’asthme. Là-bas, des traitements sont disponibles : ce n’est pas du tout le cas dans d’autres pays.
Quelles sont les difficultés ?
C. K.-B. : Il faut parfois expliquer notre rôle auprès des communautés. À l’hôpital de Pakbeng, au Laos, certaines familles ne comprennent pas pourquoi il est important de surveiller une grossesse. L’un des dirigeants de cette province nous expliquait que, pour motiver les femmes enceintes à être suivies, l’hôpital avait besoin d’être équipé d’un échographe : ainsi, elles auraient envie de voir leur bébé… Mais il nous faut aussi résister à la demande locale de pallier le manque de moyens : ça ne sert à rien d’envoyer sur place des appareils performants si on ne forme pas, en amont, le personnel. C’est aussi pour cette raison que nous essayons de nous servir du matériel et des médicaments disponibles localement. Tout cela fait partie, je crois, de la relation interculturelle essentielle dans l’humanitaire. Le médecin occidental est souvent perçu comme « celui qui sait ». Or, ce n’est pas toujours le cas. Face aux populations et aux soignants locaux, il nous faut être tolérants : il y a d’autres façons de faire, d’autres cultures et nous ne détenons pas la vérité. Il nous faut créer une relation de confiance qui permet de construire un projet d’aide à l’amélioration de la santé de l’enfant.
Propos recueillis par Isabelle Pouyllau
Le docteur Chantal Karila-Beaulier est pneumo-pédiatre à l’hôpital Necker, à Paris. Elle est présidente de l’ONG Pédiatres du Monde.
Photos : Pédiatres du monde.