Vers 18 mois, les enfants connaissent une étape fondamentale dans leur développement : nos chérubins résistent, usent du « non », voire refusent tout en bloc. Communément appelée « phase d’opposition », cette période (plus ou moins longue !) est en fait une phase d’affirmation de soi.
En disant non, l’enfant trouve ainsi le moyen d’exister par rapport à ses parents. Ce processus psychique, tout à fait normal, est signe que votre enfant grandit bien ! En tant que parents, cependant, c’est souvent le début des questionnements sur l’éducation à suivre et du cadre à donner.
Le rôle de l’affect…
Face à ces nombreux refus, dédains et colères, il est parfois difficile, pour les parents, de comprendre que c’est en s’opposant que leurs enfants se construisent. Et que, si elle est bien accompagnée, la limite, et donc la frustration qu’elle engendre, fait grandir.
Pour la chercheure en psychologie Odile Reveyrand-Coulon, toute l’ambivalence du statut de parent se révèle ici : nous savons qu’il faut donner un cadre à notre enfant et à la fois, inconsciemment, nous hésitons à lui imposer contraintes et autorité. Notre affect interagit contre notre bonne volonté !
De son côté, la psychologue Héloïse Junier note qu’« en entretien, de nombreux parents surinterprètent l’impact que peut avoir le fait de donner un cadre ». Comme si, en posant des limites, ils avaient peur d’être moins aimés de leur enfant. « Les parents expriment la crainte qu’en le frustrant, ils abîment son estime de soi. Pire, ils le maltraitent », ajoute-t-elle. Très souvent aussi, nous n’avons pas envie de passer le peu de temps que nous partageons avec nos enfants à faire la police.
… et de la distance
L’affect a également toute sa place dans l’idée que notre enfant écoute plus facilement l’assistante maternelle, les grands-parents ou toute personne… qui n’est pas nous. Tout simplement parce que l’autre a une distance que nous n’avons pas : il n’y a pas le même enjeu affectif ou le même rapport fusionnel à l’enfant. « L’enfant a un attachement fort avec ses parents, c’est donc avec eux qu’il va se libérer de ses tensions et se permettre d’être lui-même », explique Héloïse Junier. Tout est normal donc, mais néanmoins difficile à avaler : votre tout-petit réservera plus facilement ses risettes à Mamie et ses colères à votre pomme !
« Et il ne faut pas oublier que, dans la relation avec son enfant, se rejouent des choses de sa propre enfance, de l’éducation que l’on a soi-même reçue… », ajoute la chercheure Odile Reveyrand-Coulon. Cette éducation reçue, avec ses frustrations, ses limites ou, au contraire, son absence de cadre, laisse donc son empreinte sur le parent que nous devenons.
Coupables par excellence
Tout parent s’est interrogé sur le bon dosage de la règle édictée, de l’interdit brandi. Et, souvent, la culpabilité d’avoir été trop dur pointe le bout de son nez. « On ressent un malaise de ne pas être le parent parfait avec qui tout se passe bien, décrit Odile Reveyrand-Coulon. Mais ça, c’est une image d’Épinal ! »
Se « confronter » à son enfant est même devenu une inquiétude. « De nombreux parents utilisent le mot “céder” en parlant d’autorité, comme s’ils étaient forcément dans un rapport de force d’égal à égal avec leurs enfants », décrit la psychologue Héloïse Junier.
À une époque où l’on donne volontiers la parole à l’enfant pour savoir ce qu’il veut, ne prend-on pas alors l’habitude de lui déléguer nos décisions, nos choix, notre autorité d’éducateurs ? « Les parents sont mal à l’aise avec l’idée d’imposer un cadre et d’intervenir dans l’autonomie grandissante de l’enfant, note la chercheure Odile Reveyrand-Coulon, c’est bien d’établir un échange avec lui. Mais les parents perdent parfois de vue que l’enfant n’est pas un adulte… »
Lire aussi : La frustration chez les tout-petits avec le psychologue Didier Pleux.
En pleine construction
Ainsi, attention à ne pas « surestimer les capacités cognitives d’un enfant, sa compréhension, la rapidité de son cerveau », met en garde la psychologue Héloïse Junier. Au quotidien, les parents peuvent parfois se sentir heurtés de devoir sans cesse répéter une interdiction. Mais le développement psychique de l’enfant ne lui permet tout simplement pas de raisonner, d’agir en adulte ou d’être dans une autonomie idéalisée. « … L’enfant est un être pensant, certes, mais en pleine construction, qui a besoin de l’adulte pour être nourri, protégé, mais aussi s’ouvrir au monde, aux autres, explique Odile Reveyrand-Coulon. Or, sans limite l’enfant n’a pas de repères qui le structureront pour vivre en société. Éduquer, étymologiquement, c’est conduire vers, sur un chemin… qui a des limites, des bords ! Mais ici aussi, l’autorité n’a de sens pour l’enfant que si elle est accompagnée d’affection, d’écoute et d’attention. »
Texte : Isabelle Pouyllau. Illustration : Laurent Simon. Photo : © Adobde Stock.
Odile Reveyrand-Coulon est chercheure au Laboratoire clinique pathologique et interculturelle (LCPI) de Toulouse 2, et autrice de Pourquoi l’interdit ?, avec Zohra Guerraoui, aux éditions Érès.
Héloïse Junier est psychologue, autrice de Manuel de survie des parents, Interéditions.
Et le rôle de la société dans tout ça ?
Pour Héloïse Junier, l’émergence récente de l’éducation positive a notamment questionné la notion d’autorité. Les générations d’avant étaient plus autoritaires… et se posaient moins de questions ! Mais attention à ne pas faire de raccourcis, précise la psychologue. Même l’éducation positive fait valoir la nécessité de donner un cadre.
De plus, l’accès à la contraception a également changé la relation parents-enfant. « Aujourd’hui, l’enfant est désiré autrement par ses parents. Et parfois même surdésiré, surinvesti, explique la chercheure Odile Reveyrand-Coulon. Or, tout enfant est d’abord une projection de l’idéal de ses parents. Mais tout enfant est… décevant ! Cette prise de conscience permet aux parents de prendre une distance nécessaire, de se défusionner en quelque sorte pour être dans l’éducation. »