Pourquoi un enfant se met-il à ne plus vouloir manger ?

Harry Ifergan : Un certain nombre de facteurs entrent en ligne de compte, mais l’âge peut expliquer beaucoup de choses. La petite enfance est en effet riche en bouleversements intérieurs. À 9 mois, le bébé commence à comprendre qu’il est distinct de sa mère et, à 18 mois, il entre dans la fameuse phase d’opposition, car il sait désormais qu’il existe à part entière. Plus tard, entre 2 et 4 ans, l’enfant va œuvrer à la constitution de son « moi ». Pour cela, il va rassembler tout ce qui lui appartient (la représentation de sa mère, de son père, de ses frères et sœurs, de sa nounou, de sa maison, etc.) pour en faire un tout indivisible. À cette période, toute chose qui va entrer ou sortir de lui va donc avoir une très grande importance.

Comment se traduisent ces changements intérieurs ?

  1. I. : À 18 mois, avec le début de la phase d’opposition, le tout-petit peut tout à fait refuser de manger, rien que pour voir sa mère s’énerver ! C’est une façon de lui dire qu’il a son avis propre et de se prouver qu’il est un individu à part entière. Par exemple, si une maman dit à son petit : « Regarde ce bon jambon et ces coquillettes. Mmm, c’est délicieux ! », l’enfant peut très bien penser « Ah, comme ça, tu trouves ça très bon ? Eh bien, tu vas voir ! » Ensuite, entre 2 et 4 ans, lorsque l’enfant est en pleine constitution de son « moi », d’autres comportements peuvent faire leur apparition. Ainsi, si l’on propose à un enfant un biscuit cassé, il ne voudra pas le manger. Ce n’est pas un caprice, c’est simplement que ce petit gâteau de rien du tout va à l’encontre ce qu’il vit intérieurement : lui est en train de rassembler toutes les pièces du puzzle ! C’est aussi pour cette raison que certains enfants refusent les morceaux (viande, riz, petits pois…) et préfèrent manger des aliments agglomérés, type yaourts, compotes, purées, hachis, etc.

Quelle doit être l’attitude des parents ?

  1. I. : La nourriture est avant tout un plaisir. Ce plaisir existe depuis le jour de la naissance, quand le bébé tète le sein maternel ou le biberon. Ce qui passe alors par sa bouche est promesse de tranquillité et d’apaisement. Il est donc important que les parents continuent d’inculquer ce plaisir de manger en connotant positivement la nourriture. Un enfant qui entend ses parents dire « Mmm, c’est bon », qui les voit cuisiner, qui perçoit que le repas est pour eux un moment agréable et un moment de partage, aura de grandes chances d’être un enfant qui mange bien. De petites astuces peuvent aussi aider à aller dans ce sens : mettre à la disposition de son enfant une petite cuillère, une petite fourchette et un petit couteau (non coupant) pour faire comme Papa et Maman ; mettre un carré de tissu sous la chaise de l’enfant pour ne plus stresser
    à la moindre miette par terre ; jouer au petit train qui entre en gare. Parfois aussi, les enfants aiment qu’on leur donne à manger, même s’ils savent le faire seuls. Ces petits moments de régression leur font du bien ! Dans le cas où un enfant refuse de manger, rien ne sert de s’énerver et d’insister, car le repas peut être un moment difficile selon la phase qu’il traverse. Il faut éviter de montrer trop d’intérêt pour son refus. En lui disant
    « Ce n’est pas grave, laisse, tu mangeras quand tu voudras » ou en détournant son attention sur autre chose, il y a de bonnes chances que l’enfant change d’avis et goûte ce qui se trouve dans son assiette. Parfois aussi, les propres phobies des parents pour certains aliments peuvent créer des blocages chez leur petit : quand on a du mal à manger quelque chose, pourquoi le cuisinerait-on pour son enfant ? Enfin, même si certaines phases sont compliquées, il faut garder à l’esprit qu’un enfant qui a appris à manger de tout jusqu’à l’âge de 6 ans sera un enfant qui, plus tard, appréciera toutes sortes d’aliments.
Propos recueillis par Delphine Soury

 

* Harry Ifergan est psychologue et psychanalyste, spécialiste de la psychologie de l‘enfant.

 

 

Néophobie alimentaire, quésaco ?

Certains parents ne comprennent pas : tout à coup, leur enfant ne veut plus manger que ce qu’il aime et qu’il connaît. Ce phénomène normal s’appelle la néophobie alimentaire et apparaît vers l’âge de 18 mois. Elle est plus ou moins marquée selon les enfants et est
le signe que le tout-petit a désormais compris qu’il est différent de sa mère. Il ne mange donc plus pour lui faire plaisir, mais parce qu’il est conscient d’avoir des préférences.