Repenser nos modes d’éducation à la lumière de la science… Voici ce que propose la pédiatre Catherine Gueguen, qui nous explique en quoi cette nouvelle approche est révolutionnaire.

 

Pourquoi vous êtes-vous intéressée au cerveau des bébés ?

Catherine Gueguen : J’avais une consultation de soutien à la parentalité et je formais en haptonomie les professionnels de santé : pédiatres, psychologues, puéricultrices. Parallèlement, j’ai toujours été intéressée par tout ce qui se passait dans le monde entier autour des questions de développement de l’enfant, de l’éducation… Au début des années 2000, ont commencé à être publiés des articles autour du développement du cerveau affectif et relationnel des enfants, des recherches très nouvelles. Cela m’a passionnée et étonnée car les scientifiques confirmaient ce que je pensais et ce que beaucoup de pédagogues pensaient intuitivement.

 

Comment sont menées ces recherches ?

Catherine Gueguen : Des chercheurs dans le monde entier ont travaillé sur le cerveau, à partir d’imagerie (IRM) et d’études physiologiques, biologiques, chimiques, génétiques. Des chercheurs se sont également demandé ce qui se passe au niveau du cerveau quand on rencontre les autres et quand on éprouve des émotions et des sentiments : les neurosciences affectives sont nées. Le champ d’exploration est immense et étudie les molécules cérébrales, les cellules cérébrales, les structures et les zones neurologiques, les gènes, les hormones…

 

En quoi ces découvertes peuvent changer notre façon d’éduquer ?

Catherine Gueguen :  Elles nous font porter un regard différent sur l’enfant. Certes, il a de grandes capacités affectives et intellectuelles dès la naissance. Mais ces études ont montré que le cerveau des tout-petits, notamment le cortex préfrontal qui régule les émotions, est encore immature. Dans le monde entier, beaucoup de gens pensent que la bonne éducation c’est de réprimer son enfant : de le punir et de l’humilier verbalement et physiquement. La science prouve l’inverse.

 

Quels sont les effets d’une éducation bienveillante sur le cerveau ?

Catherine Gueguen : Soutenir, sécuriser, consoler, qui sont les bases du maternage, ont des effets bénéfiques sur la maturation du cerveau. Aider l’enfant à mettre des mots sur ses émotions va apaiser son cerveau émotionnel, en pleine ébullition. L’enfant va sécréter moins de molécules toxiques. Le tout-petit ne sait absolument pas gérer ses émotions, d’où les très grosses colères, les énormes chagrins, les très grandes peurs. Quand on va apaiser l’enfant, on va faire maturer les structures cérébrales qui lui permettent de mieux gérer ses émotions. L’éducation bienveillante a ainsi des effets positifs aussi bien sur le cerveau affectif (celui qui nous permet d’être en relation avec les autres) que le cerveau intellectuel (celui qui permet d’apprendre).

 

Au contraire, quels sont les effets d’une éducation violente sur le cerveau ?

Catherine Gueguen : Quand on se fâche, qu’on punit, qu’on menace, cela empêche le développement du cerveau affectif de l’enfant. Quand ces punitions et ces menaces sont répétées chaque jour, cela peut entraîner des dégâts importants et des troubles du comportement : l’enfant devient anxieux, agressif, déprimé et va connaître des difficultés d’apprentissage. 80 % des enfants dans le monde subissent des violences physiques et verbales. Ce que démontre la science à l’heure actuelle c’est qu’il ne faut pas être dans des rapports de force avec les enfants. Cela n’a rien à voir avec une éducation laxiste. L’adulte doit transmettre des valeurs, être un modèle, savoir dire non, poser un cadre et des limites. Mais il doit le faire en comprenant la grande fragilité, la grande vulnérabilité et la grande immaturité des enfants.

 

Peut-on « rattraper » de mauvaises habitudes ?

Catherine Gueguen : Grâce à la plasticité du cerveau, il n’est jamais trop tard pour changer de comportement. Le cerveau est très malléable jusqu’à la fin de notre vie, bien que beaucoup plus malléable dans notre enfance. Une étude australienne a montré que même à l’adolescence des parties du cerveau vont se remettre en route, si l’adolescent trouve dans son entourage une personne soutenante (père, mère, professeur) : c’est ce qu’on appelle la résilience. Et le premier facteur de résilience, c’est la rencontre avec des personnes chaleureuses, bienveillantes et empathiques. Aujourd’hui, grâce à la science, qui donne un vrai poids au discours, beaucoup de gens sont prêts à changer leur relation aux enfants.

 


Communication non violente (CNV) : qu’est-ce que c’est ?

D’après Catherine Gueguen, « pour entrer dans une relation bienveillante avec les enfants, les adultes, parents ou professionnels, ont parfois besoin de travailler sur eux-mêmes ». Fondée par Marshall Rosenberg, la CNV est une approche très intéressante de transformation personnelle qui se déroule en groupe de parole. « Dans les relations, ce qu’on voudrait tous, c’est être compris dans nos émotions. Mais la majorité des adultes ont du mal à se connecter à leurs propres émotions. D’où les grandes difficultés à éduquer les enfants de façon bienveillante, mais aussi plus largement les difficultés que rencontre la société actuelle pour sortir des conflits, comprendre l’autre et construire ensemble », explique le Dr Gueguen.

 


41sqq2zepml-_sx301_bo1204203200_9782221156292Catherine Gueguen est pédiatre, spécialisée dans le soutien à la parentalité.

Elle est l’auteure de Pour une enfance heureuse et Vivre heureux avec son enfant (Robert Laffont).


Dossier réalisé par : Emilie Bélard

Illustration : © Clothilde Delacroix