À partir de quel âge la timidité peut-elle se manifester ?

Harry Ifergan : Les premiers signes de la timidité apparaissent aux alentours du huitième mois. Alors qu’il pensait jusqu’ici ne faire qu’un avec sa mère, le bébé comprend désormais qu’il est véritablement distinct d’elle, grâce à la présence d’un tiers (le facteur, sa mamie, la boulangère, sa nounou…). Mais il craint que cette personne ne le coupe de sa mère : c’est la fameuse angoisse de séparation. L’enfant a peur des visages étrangers, redoute que l’autre ne s’immisce dans sa « bulle d’intimité » et ne le déborde. J’entends déborder au sens de « dépasser les bords » de cette zone qui lui est propre et qui n’appartient qu’à lui. Cette réaction peut être assimilée à une certaine forme de timidité, mais c’est une étape normale et passagère, qui fait partie des fondements de l’organisation psychique. Un enfant qui ne connaît pas cette angoisse nous inquiète, nous, les psys.

Pourquoi la timidité apparaît-elle ?

H. I. : Avant toute chose et jusqu’à preuve du contraire, le gène de la timidité n’existe pas ! Mais en revanche, l’enfant peut adopter très tôt et par mimétisme certains comportements de ses parents. Ainsi, des parents timides, mal à l’aise en société, peuvent transmettre des comportements timides à leur enfant, qui va se montrer introverti, par identification. Mais l’inverse est aussi vrai : un enfant dont les parents sont repliés sur eux-mêmes peut, en réaction, être complètement extraverti. Toujours est-il que la timidité est la manifestation de la peur de l’enfant de ne pas être apprécié des adultes, ce qui peut entraîner la perte de la confiance en soi et de l’estime de soi. Ainsi, un rire, des applaudissements, une critique que nous pourrions considérer comme spontanée et naturelle peut déborder la « bulle intime » du tout-petit. Au point de créer de la confusion, une gêne : « Ce que je viens de faire est-il bien ? Mal ? Suis-je aimé ou pas ? ». La timidité va alors jouer un rôle de protection en montrant à l’autre qu’il a dépassé les bornes, qu’il doit s’arrêter. Elle est donc autant un mécanisme de défense qu’une fragilité.

Quelles formes la timidité peut-elle prendre ?

H. I. : La timidité se traduit par des réactions de gêne au point de perturber l’enfant et de le détourner de sa spontanéité et de son naturel. Les plus petits se cachent le visage. Plus tard, apparaissent la stupéfaction, les rires nerveux, mais aussi des réactions plus négatives comme l’agressivité. Les rougissements viennent encore plus tard. L’un des mini-symptômes les plus courants est la susceptibilité, la vexation. Elles sont un signal, une demande inconsciente de protection et peuvent se manifester très tôt pour signifier à l’autre qu’il est allé trop loin. Un enfant qui ose exprimer sa timidité est donc un enfant qui veut se défendre contre une situation qui le met mal à l’aise. Dans le cas contraire, cela signifie qu’il ne se considère pas suffisamment et donne trop d’importance à l’autre pour faire comme s’il ne ressentait rien… alors que c’est tout l’inverse à l’intérieur. Au-delà de 3 ans, la conformité sociale commence à devenir un modèle de référence pour l’enfant. Il peut alors ressentir de la gêne ou de la honte parce qu’il se sent différent (il porte des lunettes, il est plus petit ou plus grand que ses camarades) et redoute le regard de l’autre.

Faut-il s’inquiéter ?

H. I. : Si l’enfant devient solitaire, que la séparation d’avec ses proches devient systématiquement source d’inquiétude, si la gêne que peut ressentir l’enfant se généralise et ne se cantonne plus à une situation particulière, il faut s’interroger. Car la timidité fonctionne un peu comme une phobie, qui peut s’insinuer et envahir la personnalité. Cela peut être ennuyeux, notamment entre 2 et 4 ans, période à laquelle l’enfant est en pleine construction du « moi ». La timidité peut venir freiner cette construction. Néanmoins, la personnalité reste très flexible, jusqu’à environ 18-20 ans.

Comment aider son enfant à surmonter sa timidité ?

H. I. : Chaque enfant est différent. Mais certains principes semblent évidents : éviter de présenter son enfant comme timide à tout bout de champ ou le mettre de force dans des situations où il se sentira mal à l’aise. Le gronder est aussi contre-productif. En revanche, je trouve l’idée de faire appel à un psychomotricien intéressante : des petits exercices l’amenant à prendre conscience de son schéma corporel peuvent l’aider à prendre confiance en ce corps qu’il habite et qui l’abrite. Car le corps est le terreau dans lequel la personnalité se développe. Enfin, prouver à son petit que, quelle que soit sa réaction, ses résultats, ses essais-erreurs, on ne le dépréciera pas, l’aidera à prendre confiance en lui. Car le moteur de la vie d’un enfant, c’est l’amour de ses parents.

Propos recueillis par Delphine Soury