Après le Sénégal et l’Inde, nous continuons notre tour du monde de la parentalité en faisant escale au Japon ! De ce pays, on connaît les buildings, les jeux vidéo, la high-tech. On connaît moins l’univers plus intime, plus discret, de la famille. Carole Shigetomi habite au Japon depuis dix ans. Elle vit actuellement à Tokyo avec son mari, qui est japonais, et sa fille de trois ans, Marilou (万莉瑠). Entre tradition et modernité, elle nous apprend comment les bébés sont accueillis et élevés au pays du Soleil levant.

Au Japon, quelles sont les coutumes liées à la petite enfance ?

Carole Shigetomi : Plusieurs rites de passage jalonnent traditionnellement la vie des bébés japonais. Le premier, quand l’enfant a un mois, s’appelle l’omiyamairi : c’est une cérémonie au cours de laquelle la famille amène le bébé dans un temple shinto et le présente aux dieux. Quand le tout-petit est âgé de cent jours, on célèbre l’okuizome, un rituel qui correspond symboliquement au premier repas de l’enfant et qui sert à lui souhaiter de ne jamais connaître la faim. Ce repas est préparé comme pour un adulte, avec poisson, soupe miso, riz… Chaque mets est présenté avec des baguettes au bébé qui, bien sûr, n’y goûte pas vraiment ! Le shishi-go-san (littéralement, le « sept-cinq-trois ») est un autre rite de passage, très populaire au Japon, pour les filles de 3 et 7 ans et les garçons de 5 ans. Parés de jolis kimonos, ils sont conduits au temple et leur famille prie pour leur bonne santé. Nous allons fêter celui de ma fille en octobre, en même temps que sa cousine japonaise !

Carole Shigetomi a célébré l’okuizome de sa fille lorsqu’elle était âgée de quelques mois.

Recette japonaise

À partir de 6 mois, les bébés japonais mangent une bouillie de riz, l’okayu. Mettez deux cuillères à soupe de riz rond dans 200 ml d’eau, portez à ébullition puis réduisez le feu au minimum. Laissez cuire pendant 40 minutes sans mélanger. Mixez le tout, en y ajoutant des carottes, des patates douces ou des fruits. Bon appétit, bébé !


Y a-t-il d’autres fêtes dédiées aux enfants ?

C. S. : Oui ! Le hinamatsuri est fêté le 3 mars. Ce jour-là, pour porter bonheur aux petites filles, on décore la maison avec un autel sur lequel on aligne des poupées représentant la cour sous l’ère Heian (794-1185). Le 5 mai est férié car c’est le kodomo no hi, le « jour des enfants ». À cette occasion, les Japonais passent du temps en famille et font voler des drapeaux en forme de carpes, symboles de courage et de persévérance.

Marilou à la crèche, devant les statuettes de l’hinamatsuri

Comment les Japonais considèrent-ils les bébés ?

C. S. : Ils les adorent ! Et comme la natalité est faible au Japon (1,43 enfant par femme, l’un des taux les plus bas du monde), les villes se plient en quatre pour aider les jeunes parents. Elles emploient par exemple des infirmières qui rendent gratuitement visite aux mamans, dans le mois qui suit leur accouchement, pour s’assurer que l’enfant va bien. Beaucoup de magasins mettent à disposition des salles pour les soins des bébés, des cabines d’allaitement, des chauffe-biberons, de l’eau chaude stérilisée… Mais, malgré tout, les mamans japonaises restent chez elles au maximum durant les six premiers mois, car les Japonais considèrent que les mères et leurs bébés sont fragiles et doivent rester à l’abri. Au Japon, voir un bébé de moins d’un mois hors de la maison est impensable !

Quelles sont les particularités de l’éducation japonaise ?

C. S. : C’est une éducation qui met l’accent sur des valeurs telles que l’obéissance, le conformisme et l’empathie. Les enfants japonais apprennent très tôt à ne pas être individualistes, à avoir conscience de l’impact qu’ils ont sur les autres et à ne pas se faire remarquer. Ils sont aussi encouragés à ne pas montrer leurs émotions, car c’est considéré comme vulgaire. Cette éducation passe encore surtout par les mères. Au Japon, elles sont nombreuses à s’occuper de leur enfant à plein temps jusqu’à ce qu’il entre en maternelle, vers trois ans, puis l’école leur demande aussi de beaucoup s’investir (par exemple, de participer à des ateliers, d’être présentes lors des sorties scolaires…). Les mamans japonaises ne confient jamais leur enfant à une baby-sitter et rarement aux grands-parents. Elles le font souvent dormir avec elles jusqu’à 6 ou 7 ans. Les familles passent généralement la nuit sur plusieurs futons (matelas de coton) installés côte à côte, et les enfants se couchent entre leurs parents s’il y a assez de place. Sinon, le père dort dans une autre pièce.


Papa et maman

De nos jours, les enfants japonais appellent leur parents à l’occidentale : « papa » et « mama ». Autrefois, ils disaient « otoosan » et « okaasan », le suffixe « -san » étant une marque de respect.


Y a-t-il des crèches ?

C. S. : Oui, les tout-petits peuvent aller dans des ninka. Ces crèches gérées par les mairies sont très recherchées, car elles sont subventionnées et ont un cahier des charges strict : peu d’enfants par éducateur, nombreuses sorties… La plupart des ninka de Tokyo accueillent les enfants entre 7 et 20 heures, mais pas plus de huit heures d’affilée. Pour avoir une place en ninka, il faut que les deux parents travaillent à plein temps et qu’il n’y ait pas de grands-parents à la retraite à proximité ! Et si l’un des parents se retrouve au chômage, la place est perdue au bout de trois mois. Les ninkagai sont des crèches privées, moins régulées, mais plus chères et offrant moins d’avantages : pas de repas sur place, personnel peu qualifié… Pour les parents qui travaillent en horaires irréguliers ou de nuit, il existe aussi des « baby hôtels », des crèches ouvertes 24h/24h.


Parents stupides

Au Japon, il est mal vu de valoriser son enfant devant les autres. Les parents un peu trop en admiration devant leur bébé sont qualifiés d’oya baka, littéralement… « parents stupides » !>


Comment les parents japonais équilibrent-ils travail et vie de famille ?

C. S. : C’est un sujet très sensible, car les entreprises japonaises demandent à leurs employés d’être très disponibles. Beaucoup de Japonais font une heure de transport le matin, travaillent toute la journée jusqu’à 21 heures ou plus, puis mettent encore une heure pour rentrer chez eux. De plus, ils font souvent des heures supplémentaires et des sorties plus ou moins obligatoires avec des collègues ou des clients. Difficile de concilier cela avec une vie de famille ! C’est pourquoi beaucoup de mères japonaises sacrifient leur carrière pour s’occuper des enfants. Et le soir, quand le père rentre, tout le monde est couché ! Il voit ses enfants pendant les vacances, qui sont rares au Japon mais pratiquement toujours passées en famille.


Dossier réalisé par Élise Rengot

Illustration : © Clothilde Delacroix