Être le meilleur papa, la meilleure maman et avoir le meilleur enfant… Tels sont les objectifs ambitieux que se fixent aujourd’hui de nombreux parents. Pleins de bonnes intentions, ils stimulent leur enfant dès son plus jeune âge et l’entraînent à développer ses compétences intellectuelles. Pour Isabelle Bruno, il est temps de remettre en question cette course à la performance, souvent contre-productive…
Quelle place la performance occupe-t-elle aujourd’hui dans l’éducation des enfants ?
Isabelle Bruno : Une place importante ! Et on comprend très bien pourquoi : la notion de performance a une portée considérable dans la société actuelle. Cela conditionne l’attitude de chacun dans beaucoup de domaines, y compris dans l’éducation. Les parents veulent être les meilleurs possibles et ne priver leur enfant d’aucun apprentissage. Bien qu’ils soient nombreux à souhaiter le mettre à l’abri d’une trop grande exigence de leur part, celle-ci transparaît souvent, malgré tout, dans leur façon de faire : ils choisissent par exemple des jeux essentiellement éducatifs et sollicitent leur enfant pour divers apprentissages à tout moment de la vie quotidienne. L’éveil prend alors la forme d’un entraînement de tous les instants !
Quelles sont les conséquences pour l’enfant et ses parents ?
I. B. : Cette injonction à la performance peut causer une angoisse chez les parents : celle d’être pris en défaut si leur enfant ne correspond pas à un certain « modèle ». Ils vont alors être tentés de le stimuler en permanence dès ses premières années ! Celui-ci va ressentir l’inquiétude de ses parents et se sentir lui-même dans l’obligation de répondre à leur demande de performance, même si elle n’est pas formulée explicitement. Si, à chaque fois, le jeu est instrumentalisé (consciemment ou non) pour devenir une forme d’« examen » de ses aptitudes, il ne sera pas insensible au fait que ses parents attendent de lui qu’il « réussisse ». Ainsi, même dans l’échange le plus joyeux, s’immisce la notion de performance, qui ne devrait pourtant pas intervenir. Cela peut causer du stress et éloigner la famille du plaisir simple d’être ensemble et de s’amuser. Les vertus essentielles du jeu libre, sans enjeu particulier, sont un peu oubliées. Or, le droit de se tromper, de recommencer, d’avancer à son rythme ou de rêver est très important pour le bien-être et pour le développement psychique de l’enfant !
Quel est l’impact du stress sur le développement et la santé de l’enfant ?
I. B. : Le stress de la performance peut apparaître très tôt, surtout si les parents se montrent particulièrement inquiets de savoir si leur enfant sera « à la hauteur ». Il peut se renforcer si l’enfant a un emploi du temps chargé, avec beaucoup d’activités extrascolaires par exemple. Certes, il a besoin de laisser parler ses appétences à l’extérieur de l’école et il peut donc tout à fait choisir une activité qui lui correspond bien… Mais une seule suffit largement, quitte à changer l’année suivante si elle ne convient pas ou si l’enfant veut en essayer d’autres. Cela permettra de limiter le stress ressenti, qui peut avoir des effets négatifs sur la santé, en perturbant le sommeil, l’appétit ou encore le système de défense immunitaire. Par ailleurs, le stress peut également entraîner un retard dans les acquisitions – effet tout à fait inverse de celui recherché ! – ainsi que des difficultés à gérer ses émotions, ses pulsions et ses relations avec les autres. N’oublions pas que l’esprit a besoin de sérénité, de repos et de temps libre pour acquérir ce dont il a besoin, au bon moment !
Comment dire « halte à la performance » ?
I. B. : Nous sommes tous sensibles aux phénomènes de société qui impliquent cette course à la performance… mais chacun de nous les vit différemment. La parentalité n’est pas dissociée de ce que nous sommes personnellement : de nature joyeuse, légère ou au contraire angoissée ou dirigiste. En tant que parent, c’est donc sur notre tempérament que nous devons, en premier lieu, nous interroger : comment être plus calme, réguler nos propres émotions, nous ouvrir à notre part personnelle de créativité ? Le yoga, par exemple, peut être une piste. Pratiqué en famille, il devient un temps commun de partage et de calme. Prenons simplement garde à ne pas avoir à l’esprit le développement de l’enfant, l’acquisition de son schéma corporel ou d’autres notions d’apprentissage ; privilégions le plaisir et l’attention, la parole et la simplicité du moment. Une autre piste peut être de laisser, par moments, son enfant libre de ne rien faire ! Lorsqu’il s’ennuie, il trace son chemin personnel. Il prend seul, en fonction de ses goûts et de ses envies, la décision de jouer ou non, de feuilleter un livre ou de rêver, tout simplement. Le rôle de l’imagination dans son développement est essentiel puisqu’il est un ressort pour mieux connaître ses intuitions, ce qui lui sera très utile, plus tard, pour faire face à des situations imprévues ou pour gérer ses émotions.
Isabelle Bruno est journaliste et auteure de livres consacrés au bien-être, à la santé et à la puériculture. Dans Enfants zen, parents zen, elle aide les parents à mieux comprendre les émotions et les ressentis des 2-6 ans, et elle propose de nombreuses méthodes pour retrouver la sérénité à la maison. Elle a également co-écrit Yoga facile pour enfants (Hachette Famille).