Quelle est l’origine des doudous ? Pourquoi sont-ils devenus si importants dans notre société ? Retour sur l’histoire du doudou et son importance dans le développement de l’enfant avec Anne-Sophie Casal, psychologue du développement sociocognitif et responsable de formation au FM2J (Centre de formation aux métiers du jeu et du jouet).
Quelle est l’origine des doudous ?
Anne-Sophie Casal : La présence de jouets auprès des enfants remonte à l’Antiquité. On a retrouvé des hochets dans les tombeaux d’enfants égyptiens, par exemple. À l’origine, le doudou était surtout un morceau de tissu, un lange, un mouchoir que l’on donnait à l’enfant. En le touchant, le mâchouillant, en le portant au nez, à la bouche, l’enfant se calmait. Ce nom, « doudou », transcrit bien cette douceur, cette sensation du « doux ».
Les peluches n’étaient donc pas les premiers doudous ?
A.-S. C. : L’ours en peluche a fait son apparition au début du XXe siècle. Pour la petite histoire, il faut remonter en 1902 aux États-Unis. Lors d’une partie de chasse, le président Theodore Roosevelt, surnommé Teddy, aurait refusé de tirer sur un ourson. L’ours était alors l’équivalent de ce qu’est le loup, aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif. Avec cet épisode, on est passé de la bête féroce à l’animal mignon, à qui l’on peut s’attacher. [La communication autour de ce fait historique a ensuite lancé la commercialisation du célèbre Teddy Bear dans le monde entier].
Ours, lapin… La figure animale est omniprésente chez les doudous.
A.-S. C. : On retrouve en effet les animaux dans l’univers enfantin, dans les comptines, dans la littérature jeunesse, etc. On leur prête facilement une grande palette d’émotions et de rôles. Le doudou acheté par un adulte va souvent être un animal. Mais l’objet qui sera désigné comme doudou par l’enfant peut être un tissu, un vêtement avec l’odeur du parent. Et surtout, le doudou n’est pas forcément un objet concret.
C’est-à-dire ?
A.-S. C. : Dans les années 1950, le pédiatre britannique Donald Winnicott a théorisé le rôle du doudou. Il explique que, pour s’apaiser, un enfant a besoin de manipuler de façon répétitive un objet sensoriel. Cet objet va jouer un rôle de transition entre la phase de « fusion » de l’enfant avec sa figure d’attachement et le moment où il va prendre conscience de sa propre identité. En psychologie, on dit que l’enfant « investit » un objet transitionnel, qui pourra l’aider à supporter cette séparation : c’est le doudou. Mais un geste peut aussi faire office de doudou : sucer son pouce, toucher ses cheveux, se balancer… Les sens ont donc aussi toute leur importance, particulièrement l’odorat. Le doudou est ce qui rassure vraiment l’enfant en lui permettant de retrouver quelque chose qu’il connaît, qui ne change pas. Mais il faut savoir que plein d’enfants n’ont pas de doudou… et ce n’est pas inquiétant pour autant !
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Ces découvertes sur les besoins de l’enfant sont finalement récentes ?
A.-S. C. : Oui. À peu près à la même époque que Winnicott, le psychiatre John Bowlby parlait de l’importance de l’attachement de l’enfant et de la séparation avec la mère. Le psychologue Jean Piaget, lui, étudiait l’importance du stade sensori-moteur… Auparavant, la mortalité infantile et maternelle était très importante. Alors on se gardait bien de s’attacher aux bébés. Les progrès de la médecine ont changé cela. La révolution romantique et les écrits de Rousseau ont également contribué à faire voir l’enfant comme un être à part entière. Avant, on s’y intéressait à l’âge de « raison », vers 6-7 ans, au moment où il pouvait être… utile en travaillant !
Comment les doudous ont-ils pu devenir aussi importants ?
A.-S. C. : Après les années 1950, toutes ces théories sur le développement de l’enfant se sont diffusées peu à peu dans la société. Dans le même temps, les familles, et notamment les mères, ont commencé à se séparer de plus en plus tôt de leurs enfants. On voit alors l’émergence des crèches, des nounous, de la garde des bébés par d’autres personnes que les mères. À partir des années 1970-1980, les professionnels de la petite enfance ont demandé aux familles d’apporter un vêtement avec l’odeur du parent ou de proposer un doudou, pour faire la transition entre la maison et le lieu de garde. Les parents ont donc cherché ce qui pouvait jouer le rôle de ce « bout de tissu ». La peluche s’y prêtait parfaitement. C’est un peu pour cela qu’on l’offre aujourd’hui en guise de doudou. Et notre société de consommation n’y est pas pour rien : avoir un doudou, c’est déjà posséder un objet…
Le doudou a-t-il été perçu comme une mauvaise habitude ?
A.-S. C. : C’est parfois le cas aujourd’hui. On entend des « ne mets pas le doudou à la bouche, ne le traîne pas par terre… ». Les parents essaient de maîtriser où « traîne » le doudou. Actuellement, avec la crise sanitaire, nous sommes revenus à une période plus hygiéniste, par exemple. L’interdiction du doudou aurait pu être demandée dans les crèches. Or, les professionnels l’ont tout de suite acté : le doudou, on le garde. Il continue à entrer dans les crèches malgré le Covid-19. Cela veut dire qu’il est aujourd’hui reconnu comme étant essentiel à l’enfant.
Comment amorcer la séparation avec son doudou ?
A.-S. C. : Il ne sert à rien de vouloir maîtriser le moment où il va s’en séparer. Le doudou, finalement, est le seul objet qui appartient à l’enfant. Il n’a pas besoin de l’adulte pour s’en séparer : laissons-lui cette exclusivité d’autonomie. À partir du moment où l’enfant commence à dire « je » et où il va s’intéresser aux autres, il commencera à se détacher de son doudou progressivement. Ce partenaire de jeu infaillible va peu à peu laisser sa place pour les copains, dans l’intérêt de l’enfant.
Le doudou a-t-il toujours sa place à l’entrée en maternelle ?
A.-S. C. : Oui. En petite section, il y a souvent une caisse à doudous, un endroit officiel pour laisser les doudous. En moyenne section, on commence à dire aux enfants que le doudou reste dans le cartable, qu’on le prend seulement pour la sieste. En grande section, on ne le voit naturellement plus. Aujourd’hui, les règles de l’école sont cohérentes avec le développement de l’enfant.
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Faut-il garder le doudou de l’enfant ?
A.-S. C. : On peut lui donner une place à la maison : dans un placard par exemple. Il est là, à portée de main. D’ailleurs, il y a plein d’adultes qui ont des doudous. Cela peut être une peluche, mais aussi un porte-bonheur, un gri-gri gardé depuis 20 ans. Parfois, on a même un doudou sans s’en rendre compte…
Propos recueillis par Isabelle Pouyllau
Anne-Sophie Casal est psychologue du développement sociocognitif et responsable de formation au FM2J (Centre de formation aux métiers du jeu et du jouet).
Illustrations : Clothilde Delacroix (Instagram : @clothildedelacroix. Photos : © photos personnelles.