Y a-t-il des histoires du soir à bannir, sources de cauchemars ? Et des histoires à privilégier, « sans danger » ? À la rédaction d’Histoires pour les petits, on pense que les bonnes histoires du soir se justifient à toute heure. Tout dépend de l’humeur ! Mais voyons ce qu’en pensent les auteurs et parents que nous avons consultés…

Propos recueillis par Éloïse Riera.

Vive l’écriture qui berce les oreilles des petits !

Quand elle explique comment elle aime écrire, l’auteure Pauline Drouin précise : « Je prends grand soin à travailler la musicalité de mes histoires, à leur donner un côté ‘berceuse’, grâce aux répétitions de sonorités. » C’est pourquoi la lecture de tels textes, à l’oralité travaillée, peut être particulièrement indiquée avant le coucher. La forme ici induit une lecture douce et calme, apaisante à l’oreille de l’enfant, idéale pour la routine du coucher.

Sujets sensibles dans l’histoire du soir : à jeter ou à doser ?

Pour Lucie Rose, neuropsychologue spécialiste de l’enfance, « cela dépend des enfants. De manière générale, on préfère éviter les sujets qui font peur ou rendent tristes, ou, au contraire, les livres qui créent beaucoup d’excitation et interfèrent avec le retour au calme. Mais certains enfants sont plus ou moins affectés par ces sujets. Donc on essaie d’adapter, en fonction de chacun. » C’est également la posture de l’auteure Christelle Vallat qui suggère de questionner l’enfant et son état émotionnel du moment pour choisir une lecture : « Pour moi, il n’y a pas de sujet à éviter, tout dépend de l’état d’esprit dans lequel se trouve l’enfant. Est-il en capacité de comprendre ? Est-il émotionnellement disposé et disponible ? Que se passe-t-il en ce moment dans sa vie ? »

Laisser le choix de l’histoire du soir à l’enfant… et un peu au parent !

Le choix du sujet découle souvent du contexte émotionnel, de la sensibilité des enfants à tel ou tel thème qui, parfois, les touche de près. Ceci est également vrai pour les parents. Eux aussi doivent s’écouter et s’exprimer ! L’auteur-illustrateur Krocui évite, par exemple, les livres « donneurs de leçons », qui ne correspondent pas aux émotions qu’il a envie de partager. De façon plus prosaïque, certains soirs, certains parents, parce qu’ils sont fatigués, évitent les histoires trop longues. « Moi, dans la mesure où leur bibliothèque est adaptée à leur âge, je laisse mes filles choisir leur histoire du soir. Souvent, elles feuillettent plusieurs livres avant de choisir (même ceux qu’elles connaissent par cœur). Je leur fais confiance pour choisir le livre qui leur fera du bien à l’instant T. J’ai des enfants facilement effrayées. Pourtant, je n’ai jamais eu de souci avec les histoires qu’elles ont choisies », nous rassure Éloïse, journaliste à Histoires pour les petits.

L’important, c’est la fin, que l’histoire du soir s’achève sur une chute claire et nette

La peur, le frisson, les « méchants » ne sont donc pas à bannir systématiquement. L’auteur Olivier Daniel nuance : « mieux vaut privilégier les héros qui partagent les peurs des jeunes lecteurs et franchissent des obstacles pour pouvoir dépasser ces peurs. Selon moi, les histoires les plus adaptées pour apaiser les enfants sont celles dans lesquelles ils peuvent projeter leurs problèmes et trouver des solutions. » Alors, des méchants oui, mais dont le rôle est clair et de préférence qui mettent en valeur les qualités de courage, d’intelligence et de persévérance du héros ou de l’héroïne. Un point de vue complété par celui de Krocui lorsqu’il déclare fuir « les histoires avec trop d’action, trop d’incertitudes. » Trop de suspense en effet risque d’exciter plus que de calmer. Et la fin doit lever tout suspense, toute ambiguïté sur le sens de l’histoire et le sort des personnages, même si tout ne se finit pas bien pour chacun.

Les contes du soir réveillent-ils les cauchemars ? Ou aident-ils à les combattre ?

Et si c’était les deux ? Car pour combattre un cauchemar, ne faut-il pas d’abord l’identifier ? Les contes de fées ont des personnages parfois effrayants mais aux rôles symboliques tranchés. Lucie Rose rappelle que « ces contes dits classiques, n’avaient pas à l’origine comme public les enfants. Les contes écrits pour livrer des leçons de morale, comme Le petit chaperon rouge, ont plusieurs niveaux d’interprétation et soulèvent des questionnements moraux importants. » Si on fait le choix de lire une telle histoire à son enfant, il est donc essentiel de choisir une version adaptée à son âge. Pour Agnès Cathala, directrice éditoriale de la presse Éveil-Lecture de Milan : « On peut tout lire le soir, même un conte dit cruel (Hansel et Gretel ou Les trois petits cochons, par exemple) qui, en traitant de sujets que le tout-petit ne saurait verbaliser, lève un tabou, tel que la peur de la dévoration, de l’abandon ou de la disparition. L’important est d’adapter le ton et de finir sur une chute explicite.

Si, malgré tout, l’histoire est jugée trop impressionnante, pourquoi ne pas en livrer un résumé avant la lecture, de façon à ce que l’enfant soit préparé ? C’est ce qui est régulièrement proposé dans le sommaire d’Histoires pour les petits. Le fait de savoir comment l’histoire se termine ne dissuade en rien de la choisir et ne gâche pas le plaisir de la découvrir. Au contraire, cela met l’enfant en confiance. Bref, mon avis est que les bonnes histoires ne risquent pas d’être sources de cauchemars. Mais plutôt d’apaisement ! »