Au Yukon, Sophie Huguet est coordinatrice du programme canadien de nutrition prénatale PCNP Mamans, papas et bébés en santé, qui propose aux jeunes parents des services d’accompagnement durant la grossesse et jusqu’à ce que l’enfant ait 1 an. Maryne Dumaine est directrice du journal francophone L’Aurore Boréale à Whitehorse.
Quelles sont les particularités d’un suivi de grossesse au Canada ?
Sophie Huguet : Fait amusant, la durée de la grossesse d’une Canadienne et d’une Française est calculée différemment ! Par exemple, avec un simulateur de date canadien, si votre premier jour de règles est le 18 septembre, votre accouchement sera prévu pour le 24 juin. Avec un simulateur français, ce sera le 1er juillet !
Plus sérieusement, notre territoire est gigantesque pour une population peu nombreuse. Au Yukon, pour une superficie équivalente à celle de l’Espagne, on compte environ 39 000 habitants, la majorité vivant dans la capitale, Whitehorse. Seul l’hôpital de Whitehorse dispose d’un service de maternité. Les femmes habitant loin doivent se déplacer et trouver une solution d’hébergement quinze jours avant leur date d’accouchement prévue.
Existe-t-il des traditions autour de la grossesse ?
Maryne Dumaine : Déjà répandues en France, les baby-showers peuvent être très traditionnelles et cérémonieuses. On entoure la maman avec des attentions particulières, mais pas nécessairement des cadeaux. On raconte des histoires, etc. Lors de ma baby-shower, par exemple, mes amies m’ont fabriqué un collier de perles, en me disant chacune leur intention dans le choix de leur perle. Une belle occasion de partager ce moment très féminin.
Comment s’organisent les premières sorties avec bébé en hiver ?
S. H. : Dans le Grand Nord, le climat est rude et les hivers sont longs ! On couvre donc les bébés (au moins une couche de plus que les parents), on ajoute des peaux de bêtes dans les luges et on porte également beaucoup les bébés contre soi. Des recommandations existent : si la température extérieure est inférieure à -12 °C et qu’il y a beaucoup de vent, il est conseillé de rester à l’intérieur avec les nouveau-nés. Pour les plus grands, il est recommandé de ne pas les envoyer jouer dehors si la température atteint -27 °C.
Comment considère-t-on la maternité au Canada ?
S. H. : La plupart des employeurs ne voient pas les grossesses d’un mauvais œil ! Par exemple, je suis arrivée au Yukon enceinte de plus de quatre mois et ma grosse bedaine n’a posé aucun souci de recrutement. Et après environ quatre mois de travail, j’ai pu partir en congé et retrouver mon poste à mon retour.
M. D. : Et l’allaitement est bien vu ici. J’ai vu des mamans allaiter à l’épicerie dans la file d’attente à la caisse (je crois même l’avoir fait aussi !), le jour de leur mariage, en robe de mariée, à la plage, en randonnée…
Combien de temps durent les congés maternité, paternité, parentaux ?
S. H. : Au Canada, les conditions et durées varient selon les provinces. À l’heure actuelle, le congé maternité dure quinze semaines. Puis, les parents peuvent se partager un congé parental de trente-cinq semaines. Le conjoint peut demander cinq semaines supplémentaires pour s’occuper du bébé. Pendant ces périodes, les parents touchent une rémunération équivalente à 55 % de leur salaire. La plupart des parents utilisent la totalité de leur congé, soit environ une année. D’ailleurs, certaines garderies n’accueillent pas les bébés avant onze mois.
Et ici, c’est le parent qui choisit quand il s’arrête. Pour ma part, je me suis arrêtée trois jours avant d’accoucher pour mon premier enfant, et deux semaines avant pour mon second (ce qui, en fait, n’était pas une bonne idée !).
Quels sont les modes de garde à disposition ?
S.H. : Le « milieu familial » (seulement quelques enfants au domicile d’une gardienne) ou les garderies, des structures similaires aux crèches (avec souvent trois tranches d’âge : poupons, toddler et preschooler*). L’école maternelle commence généralement à 5 ans et l’enseignement public est gratuit. Les modes de garde étant assez onéreux (entre 600 et 950 dollars par mois et par enfant**), les parents sont souvent ravis quand leurs bouts de chou arrivent en âge scolaire !
Quel rôle joue la communauté dans l’arrivée d’un bébé ?
S. H. : La solidarité et la générosité des habitants du Nord sont largement reconnues ! Les enfants grandissent donc en se souciant des autres. Dans la rue, on se salue et on se parle facilement. Notre situation géographique et, souvent, notre isolement familial impliquent qu’ici, on donne, on prête, on récupère et on partage les bons tuyaux.
M. D. : Nous avons des services de « relevailles » (des services d’aide à domicile pour s’occuper des bébés pendant que les parents profitent d’un peu de répit). Pour l’arrivée d’un bébé, l’entourage fait souvent de la nourriture au lieu de faire des cadeaux. Des repas tout prêts, congelés.
Existent-ils des particularités d’éducation canadienne ?
M. D. et S. H. : Notre lien à la nature !
S. H. : Été comme hiver, jouer dehors est une évidence ! Et se salir est vraiment la norme. Activités de cueillette, de randonnée, camping en été, luge et ski de fond en hiver. Ici, par exemple, les enfants connaissent les règles de sécurité à suivre si l’on croise un ours au détour d’une randonnée ! D’ailleurs, les ours leur sont bien plus familiers que les vaches…
M. D. : Nous avons des défis inverses de ceux des populations plus urbaines : je viens d’emmener mes enfants en France et les dangers urbains leur sont moins connus…
Propos recueillis par Isabelle Pouyllau.
Illustrations : Clothilde Delacroix.
Photos : © Familles Huguet et Dumaine.
Merci à toute l’équipe du programme PCNP Yukon pour son aide et sa relecture.