Entretien avec Lucie Rose, neuropsychologue référente du magazine Histoires pour les petits héros

Photographie de Lucie Rose

Le trimestriel Histoires pour les petits héros s’appuie sur un trio de héros pour aider le tout-petit à identifier, verbaliser et traverser ses émotions. Grâce à Nino Dino, le tendre et turbulent tyrannosaure, Ferdinon, l’écolier qui se pose des questions, et Camomille, la débrouillarde qui trouve des solutions, Histoires pour les petits héros, c’est l’école de l’empathie et de la confiance en soi ! Pour parler du rôle de la lecture et de la fiction dans la gestion des émotions, Lucie Rose, psychologue spécialisée dans l’enfance, nous répond.

Comment cultiver, encourager l’empathie du tout-petit ?

Lucie Rose : Parler, parler, et encore parler ! Il n’y a pas d’âge pour commencer à parler d’émotions avec les tout-petits, qu’il s’agisse des leurs ou de celles des autres. En expliquant comment on se sent dans une situation donnée, on apprend aussi à considérer comment les autres peuvent se sentir face à nos actions.

Pourquoi l’enfant a-t-il besoin de voir des émotions négatives représentées ?

L. R. : Nous ressentons des émotions toute la journée : certaines sont agréables et d’autres, comme la tristesse, la peur ou le dégoût, sont désagréables… Mais elles font toutes partie de notre quotidien. En découvrant que d’autres peuvent ressentir ces émotions, les enfants ont l’occasion d’en parler, de voir qu’elles peuvent être normales dans certains contextes, et apprennent petit à petit à mieux les gérer.

La page des émotions

Comment les histoires permettent-elles de développer la confiance en soi ?

L. R. : Il y a deux éléments clés : l’histoire, et ce qu’on en fait. Par les personnages et leurs aventures, grâce à ce qu’elles impliquent comme problèmes à résoudre, situations sociales ou émotions variées, les enfants se plongent dans l’histoire, y vivent des sensations et apprennent ainsi à mettre des mots dessus. Ces mots resserviront ensuite dans leurs propres expériences. C’est à l’adulte d’accompagner l’enfant en allant plus loin que la lecture, en le questionnant. S’est-il déjà trouvé dans une situation analogue, pareil au personnage ? Et aussi en l’aidant à retenir un message important de l’histoire, par exemple en y faisant référence à d’autres moments de la journée, soit parce que ces moments font écho à l’histoire elle-même, soit parce qu’il s’agit d’un temps calme, propice à la discussion.  

Livres (ou magazines) peuvent donc se transformer en alliés des parents ?

L. R. : Bien sûr. La preuve : l’ensemble des professionnels qui travaillent dans le domaine de l’enfance y ont recours ! Le plus simple, en tant que parent, est de se référer aux conseils des libraires et bibliothécaires afin d’être guidé dans le choix de livres faisant appel aux thèmes qui concernent nos enfants : jalousie, tristesse, surexcitation… En famille, outre que ces ouvrages offrent un support de discussion avec l’enfant, ils permettent de rassurer les parents quant à la démarche à adopter. C’est particulièrement vrai par rapport à certains sujets délicats à aborder, notamment la découverte du corps ou encore le respect du corps des autres chez les tout-petits [NDLR : sur ce thème, découvrez le livre-coup de cœur de la rédaction]. Dans ces cas-là, le prisme de l’histoire est l’allié idéal pour que le parent gagne en confiance et trouve sa manière d’en parler !

Double page extrait de Histoire pour les Petits Héros

Qu’exprime la peur de l’eau, thème de notre prochain numéro ? Et comment l’accompagner ?

L. R. : L’eau est essentielle dans nos vies mais sur le plan perceptif, c’est un mystère pour les enfants ! Si l’eau est transparente quand on en boit, l’aspect opaque de certains plans d’eau laisse planer un gros doute qui peut être inquiétant : on ne comprend pas bien sa profondeur, d’où vient sa couleur, ce qui peut s’y cacher… En plus, les adultes disent de ne pas y aller tant qu’on ne sait pas nager (à raison) ! Apprendre à observer ce qui vit dans l’eau et s’amuser dans l’eau, sous la supervision d’adultes, peut permettre aux petits et plus grands de dépasser cette peur, ensemble.

Nino dino crie wargh

Nino Dino, un héros exemplaire !

Avec sa façon bien à lui de s’enthousiasmer, bouder, crier « Waaargh ! » à tout propos, exagérer chaque émotion, qu’elle soit positive ou négative, Nino Dino offre au jeune enfant une lecture jubilatoire et exutoire. Chez ce héros grandement expressif, le tout-petit reconnaît ses propres comportements ou ceux qu’il a pu observer chez les autres. Le héros lui fournit ainsi un vocabulaire des émotions qui s’enrichit au fur et à mesure des situations croisées, dans la vie comme dans la fiction. Nino Dino, il exagère, mais c’est pour être aimé et compris. Les tout-petits lisent en lui… comme dans un livre ouvert !

Retrouvez les livres de Nino Dino, de Mim, ill. Thierry Bédouet, chez Milan éditions.

Le livre-coup de cœur de la rédaction : Mon corps à moi !

Dans cet album, à travers une galerie de monstres rigolos, Élise Gravel aborde des sujets complexes avec brio. Ses créatures polymorphes et colorées disent simplement que nous sommes tous différents, que cette différence est une chance, et que nous devons la respecter, en soi comme chez autrui. Un plaidoyer pour la confiance en soi qui donnera aux parents les mots pour aborder des notions subtiles… sans trouver cela si difficile ! (Mon corps à moi, Élise Gravel, Gautier-Languereau, 2023.)

Et aussi des documentaires à raconter

Se faire opérer. (Agnès Cathala, ill. Amélie Vidélo, éditions Milan, 2023).

Parfois copiée, jamais égalée, la collection « Mes p’tits Pourquoi », dont les thèmes s’enrichissent d’année en année, met en histoire tous les sujets, même les plus délicats. Et donne aux enfants et aux parents un support de dialogue éclairant en même temps qu’un récit attachant. À chaque problématique son titre : Le divorce, Zizis et zézettes, On se moque de moi, L’ennui, La peur, La colère, etc. Dernier titre paru : Se faire opérer. (Agnès Cathala, ill. Amélie Vidélo, éditions Milan, 2023).