Quand un enfant fait-il la différence entre les deux sexes ?
Marie-Noëlle Clément : Avant 2 ans, il est très difficile pour un enfant de percevoir visuellement la différence entre les formes et de les comparer. Si ses parents ou ses frères et sœurs sont tout nus dans la salle de bains, le tout-petit ne voit donc pas la
différence entre les organes sexuels des filles et ceux des garçons. En revanche, après 2 ans, le rapport à la réalité commence à se structurer : le tout-petit réalise alors que les filles et les garçons ne sont pas faits pareil ! À partir de ce moment-là, il aura besoin que l’on nomme les choses et qu’on lui donne des explications. D’abord pour lui permettre de confirmer ce qu’il observe, et ensuite pour pouvoir comprendre à quoi cela correspond.
Comment répondre à ses questions ?
M.-N. C. : Un tout-petit de 2 ans ne pose pas toujours de questions directes, notamment parce que le langage est inégalement développé suivant les enfants. Mais lorsqu’il touche son corps ou qu’il regarde son sexe, au moment du bain, par exemple, c’est aussi une manière de questionner. L’adulte peut alors profiter de ces moments d’intimité pour aborder le sujet. Par exemple, si c’est un petit garçon, on peut lui dire : « Tu vois, un petit garçon et une petite fille, ce n’est pas pareil. Toi, tu as un zizi, et ta sœur a une zézette ». Certains spécialistes de la petite enfance préconisent de nommer les choses pour ce qu’elles sont : un pénis, une vulve… Pour ma part, je trouve bien de nommer les organes sexuels avec des petits noms jolis, ce que font d’ailleurs la plupart des parents. L’essentiel reste que ces surnoms ne soient pas dénigrants, en particulier qu’ils ne déprécient pas un sexe par rapport à l’autre.
Et l’incontournable « Comment on fait les bébés » ?
M.-N. C. : On a beau savoir qu’elle va nous être posée, elle demeure au top des questions embarrassantes ! Il y a toujours cet effet de sidération au moment où elle arrive, évidemment jamais quand on s’y attend ! Dans tous les cas, il s’agit de ne pas se méprendre sur les attentes de son enfant : en effet, lorsqu’il pose cette question, le tout-petit ne veut pas savoir ce qu’est un rapport sexuel. Ce qui l’intéresse profondément, c’est d’où il vient. Il faut donc répondre de façon juste tout en évitant d’être dans un souci de précision anatomique. Le premier point fondamental à poser est qu’il faut nécessairement un homme et une femme pour faire un bébé. En revanche, montrer des images ou bien montrer les choses sur son propre corps, ferait effraction dans l’imaginaire de l’enfant et le projetterait dans des représentations d’adultes dont il est à mille lieues. Il doit pouvoir construire ses propres représentations, à son rythme. Il est d’ailleurs préférable de ne pas donner toute l’information en une seule fois. Quand les questions se feront plus précises, par exemple « Comment il fait, le papa, pour mettre la graine dans le ventre de la maman ? », on pourra tout d’abord demander à son enfant ce qu’il imagine, afin de situer où il en est. Il existe aussi des livres un peu poétiques ou métaphoriques pour aider à expliquer les choses. N’oublions pas non plus de dire qu’il faut s’aimer très fort pour faire un bébé, et que lui aussi est là parce que ses parents s’aiment beaucoup, ou se sont beaucoup aimés s’ils sont séparés. Enfin, on fait des bébés quand on est grand : ce sont les adultes qui les fabriquent, pas les enfants !
Quelle attitude adopter face à un tout-petit qui découvre son corps ?
M.-N. C. : Le bébé découvre son corps d’abord au travers des soins que lui prodigue l’adulte : la toilette, le bain, le change, les massages… Il est important que, dès le plus jeune âge, ces gestes soient accompagnés de mots. C’est un moyen d’aider l’enfant à s’approprier son corps de façon positive. Puis, très vite, il va mener sa propre entreprise exploratoire, en se touchant, en se rendant compte que certaines zones lui procurent des sensations agréables. Ainsi, même chez les tout-petits, on peut observer des conduites masturbatoires, en particulier à partir du moment où ils n’ont plus de couche et qu’ils ont facilement accès à leurs organes sexuels. Souvent, nous, adultes, sommes assez embarrassés devant ce type de conduite. Avons-nous bien vu ? Doit-on dire quelque chose ou faire comme si de rien n’était ? On sait aujourd’hui que ces comportements font partie du développement normal de l’enfant et qu’il n’y a donc absolument pas à les réprimer. En revanche, on doit resituer le cadre dans lequel l’enfant peut s’y adonner : « Cela te fait plaisir, mais cela ne se fait pas devant d’autres personnes. Tu peux le faire quand tu es tout seul, dans ta chambre, par exemple ». Autre cas : celui des érections chez le petit garçon, chose qui peut lui paraître étonnante, déstabilisante, voire mystérieuse, surtout si ses parents n’en disent rien. Quand l’occasion se présente, on peut en dire quelque chose : « Parfois le zizi devient dur, et c’est comme ça chez tous les petits garçons ». C’est extrêmement rassurant de savoir que l’on n’est pas tout seul dans cette situation et que c’est normal, puisque c’est Papa et Maman qui le disent !
Quand la pudeur apparaît-elle ?
M.-N. C. : Elle peut se manifester dès l’âge de 3 ans et généralement avant l’âge de 6 ans, à partir du moment où l’enfant perçoit la différence entre les sexes et qu’il prend conscience d’appartenir à l’un et non à l’autre. Cela dépend beaucoup de sa personnalité, mais aussi du contexte environnemental et éducatif dans lequel il vit, du rapport à la pudeur de ses propres parents. Avant 2 ou 3 ans, les enfants sont absolument indifférents à la nudité, que ce soit la leur ou celle des autres. Mais quand des manifestations de pudeur apparaissent, elles sont toujours à respecter. Si l’enfant ne souhaite plus se déshabiller devant les autres, à la piscine, par exemple, il ne s’agit pas de balayer les choses d’un revers de manche en disant : « Ne fais pas tant d’histoires, ce n’est pas grave ». C’est aussi le bon moment pour commencer à lui expliquer que son corps est à lui, que personne n’a le droit de le toucher s’il n’est pas d’accord. Et comment faire passer ce message important si on ne respecte pas par ailleurs son intimité ? Pour cette raison, il est dorénavant préférable pour les parents de changer leurs habitudes en évitant de se montrer nus devant leur enfant et de respecter son souhait de ne plus se montrer nu devant les autres.
Propos recueillis par Delphine Soury
* Marie-Noëlle Clément est psychiatre, psychothérapeute, directrice de l’hôpital
de jour pour enfants du CEREP-PHYMENTIN, à Paris. Elle est l’auteure de Comment te dire ? Savoir parler aux tout-petits, aux éditions Philippe Duval, 13,90 €.