Selon une enquête britannique récente, 62 % des parents anglais avouent avoir un chouchou parmi leurs enfants. En France, le sujet reste sensible, voire tabou : entre culpabilité d’être un mauvais parent et pression sociale, assumer sa préférence pour l’un de ses enfants n’est pas un acte facile. Françoise Peille, psychologue spécialisée dans l’enfance et auteure du livre Parent, enfant : à chacun sa place, nous donne les clés pour comprendre cette situation délicate et y faire face lorsqu’elle se présente.
Très peu de parents avouent avoir un chouchou. Pourquoi le sujet est-il aussi tabou dans notre société ?
Tout d’abord, il n’y a pas de généralités : tous les parents n’ont pas de chouchou ! Souvent, la notion de chouchou relève simplement du fantasme enfantin, ce qui est assez banal : on pense toujours que l’autre a plus que soi, en l’occurrence l’affection parentale. Un enfant peut donc inconsciemment interpréter une relation privilégiée avec ses parents comme un statut de chouchou. D’ailleurs, c’est surtout le terme « chouchou » qui rend ce sujet tabou, car il sous-entend une injustice envers les autres enfants. Dès que l’on parle d’affinités, les choses deviennent tout de suite plus faciles : un parent peut se sentir plus proche de l’un de ses enfants pour diverses raisons, sans en avoir honte. Par contre, lorsque cette préférence prend des proportions trop importantes et qu’elle a des répercussions au quotidien, le parent culpabilise et n’ose pas l’avouer aux autres, ni se l’avouer à lui-même.
Comment expliquer cette préférence démesurée pour l’un de ses enfants ?
Elle peut avoir de nombreuses causes, mais elle fait pratiquement toujours écho à l’enfance du parent. L’enfant chouchou peut lui rappeler une partie de son passé, ou lui renvoyer une image de lui-même qui lui plaît. Il se retrouve en lui, physiquement ou émotionnellement, parfois de manière inconsciente. Si, par exemple, étant petit, il a aussi été le chouchou de ses parents, il peut reproduire le même modèle envers l’enfant qu’il préfère. À l’inverse, si le parent a souffert d’un manque d’attention dans sa jeunesse, il compensera dans l’excès en gâtant son propre enfant.
Mais cette préférence peut aussi avoir d’autres explications, comme par exemple le contexte dans lequel est arrivé l’enfant, ou bien son état de santé. Un enfant handicapé sera par exemple plus protégé par ses parents, qui lui accorderont davantage d’attention, parfois au détriment du reste de la fratrie. La scolarité peut également jouer un rôle dans les affinités parents-enfants : un enfant bon élève pourra être le préféré, car il rapporte de bonnes notes.
Quelle attitude doit adopter le parent dans cette situation ?
Le premier pas pour le parent est la prise de conscience, dans son for intérieur, de sa préférence pour l’un de ses enfants. Une fois cette démarche effectuée, il faut trouver un équilibre et essayer de ne pas commettre d’injustice envers ses autres enfants, et de ne surtout pas leur parler de cette préférence. L’idéal est que le deuxième parent ait plus d’affinités avec l’un des autres enfants, ce qui est d’ailleurs souvent le cas, afin que l’attention des deux parents ne soit pas focalisée sur un seul et même enfant. Mais l’attitude qui consiste à vouloir traiter tous les enfants de la même façon n’est pas la bonne : être équitable ne signifie pas agir de la même manière envers chacun d’eux, mais les aimer pour ce qu’ils sont et avec leurs besoins propres.
Dans quelques cas exceptionnels, le parent ne peut pas lutter contre cette préférence, qui prend de telles proportions qu’elle en devient pathologique : il est alors préférable de consulter un psychologue si cette situation fait souffrir l’enfant comme sa famille.
On dit que le chouchou est souvent l’aîné…
C’est effectivement parfois l’aîné, car c’est celui qui nous institue en tant que parents. Il existe donc une relation particulière avec les aînés, et certains parents peuvent se sentir plus proches d’eux pour cette raison. Mais c’est parfois le petit dernier, qui peut être favorisé par rapport à ses frères et sœurs, et bénéficier des passe-droits qu’eux n’avaient pas à son âge. Quant à l’enfant du milieu, il se considère parfois comme étant à la mauvaise place : pourtant, c’est souvent celui qui subit le moins de pressions ! Il n’y a donc pas de règles sur la position du chouchou dans la fratrie…
Comment l’enfant vit-il cette place de privilégié ? Et le reste de la fratrie ?
L’enfant n’est pas toujours conscient qu’il est privilégié, et ne mesure pas forcément les différences de traitement dont il bénéficie. L’affectif étant difficilement quantifiable, l’attention que lui portent ses parents lui semble naturelle. Lorsqu’il en est conscient, le jeune enfant peut se satisfaire de cette situation, agréable pour lui, puisque ses parents lui cèdent beaucoup de choses. C’est le regard du reste de la fratrie qui est difficile, en cas d’injustice flagrante et récurrente. Parfois, ce n’est que beaucoup plus tard, à la mort des parents, que ce sentiment d’injustice jusqu’alors enfoui par le reste de la fratrie refait surface, et l’adulte qui était chouchou étant enfant se retrouve mis à l’écart par ses frères et sœurs, qui lui reprochent cette place de privilégié. Quelquefois, le chouchou montre même des difficultés à s’intégrer socialement, car il n’a pas eu à se « battre » durant son enfance avec ses frères et sœurs. La fratrie est en effet le premier lieu de la socialisation dans la famille, et si l’un des enfants se retrouve exclu de ce groupe par une différence de traitement, il pourra en souffrir plus tard.
Propos recueillis par Camille Masson.