Marie-Claire Thareau, nutritionniste, a créé en 2001 l’association Pommes & Sens, qui propose des formations et des conférences sur l’alimentation et le plaisir de manger, à travers le prisme du développement sensoriel.
Quelle est l’importance du goût pour les bébés ?
Marie-Claire Thareau : Le goût est véritablement LE levier de l’apprentissage alimentaire. Un enfant ne mangera jamais un aliment parce qu’il est bon pour la santé, mais parce qu’il lui plaît. Entre 9 mois et 3 ans, tout ce qui est sucré et liquide est facile pour un enfant. Tout le reste est à découvrir ! Plus on stimulera sa sensorialité et sa curiosité, plus l’apprentissage sera facile. Il a une bouche « toute neuve » ! Et sa sensibilité, aux odeurs, aux couleurs, à la texture est plus importante que la nôtre.
Comment donner sa place à l’éducation au goût ?
M.-C. T. : Questionnons-nous déjà sur la place de l’alimentation dans notre famille. Quand les parents prennent le temps de manger ensemble, de raconter leur journée, tout simplement d’être heureux à table, les enfants auront envie d’être là, avec eux, de goûter à tout. Et ce, même si le repas est très simple. La notion de convivialité, de faire ensemble, est importante. L’enfant mémorise alors que manger, c’est passer un bon moment.
Quelle attitude adopter lors des repas ?
M.-C. T. : Il faut lâcher prise sur la notion de temps. Par exemple, continuer à donner un biberon même quand l’enfant est grand, parce que ça va plus vite. C’est souvent par manque de temps, mais également par souci de propreté, mais aussi par peur de la fausse route. Des études de l’INRA ont par exemple montré que des enfants de 8 mois qui commencent à mastiquer dorment mieux : tout simplement parce que c’est un premier effort qu’ils font ! En voulant gagner du temps, on loupe des étapes qui permettraient de stimuler nos enfants.
Faut-il forcer à goûter ?
Il faut surtout poser un cadre, au sein de la famille. Celui qui nous semble important comme, par exemple, « chez nous, quand on goûte, c’est une bouchée (ou deux, ou trois, etc.) ». Et si, dans un autre lieu (chez les grands-parents, l’assistante maternelle), l’enfant goûte, mange, c’est déjà une victoire. Même si ce n’est pas chez nous, il faut s’en réjouir, car ainsi l’enfant chemine. Aujourd’hui, l’apprentissage alimentaire se fait dans plusieurs endroits, avec différentes personnes.
Quelles sont les autres étapes ?
M.-C. T. : Entre 18 mois et 2 ans, un enfant, qui a pu être très curieux aux repas, peut devenir réfractaire. À ce moment-là, la notion d’individualité pour l’enfant se développe. Il fait alors la distinction entre sa bouche et la nôtre et se rend compte qu’il y a des choses qu’il préfère comme… le sucré et le liquide, plus faciles ! Du jour au lendemain, il déclare ne plus aimer des aliments déjà appréciés. C’est un phénomène tout à fait normal.
C’est ce qu’on appelle la néophobie alimentaire ?
M.-C. T. : Oui. Et il y a plusieurs degrés. L’enfant gourmand fera non de la tête, mais goûtera quand même, parce qu’il aime manger. Un enfant sensible aux textures, aux odeurs et même au fait qu’on mange un animal, repoussera l’assiette. Avec lui, les parents devront travailler la présentation, la couleur du plat. Mais qu’ils se rassurent : c’est normal. Il faut juste y aller en douceur…
Comment aider les parents à ce moment-là ?
M.-C. T. : Quand les parents s’épuisent, il leur faut trouver des relais, auprès de la famille, des professionnels de la petite enfance, pour garder à l’esprit que le repas doit rester un bon moment. Quand la néophobie alimentaire est très marquée, il faut prendre le temps de découvrir les aliments avec l’enfant, le faire participer, en coupant avec un couteau à bout rond, etc. Manipuler, regarder, sentir, c’est la première étape avant de pouvoir ouvrir la bouche pour goûter.
Quand prend fin ce rejet ?
M.-C. T. : La néophobie qui apparaît vers 2 ans va s’atténuer à partir de 8 ans, mais restera active jusqu’à 10-11 ans. Mais les parents connaissent bien leur enfant : il faut jouer avec son tempérament, pour parvenir à dialoguer, sans jugement, et à dire : « C’est important que tu goûtes pour un jour pouvoir aimer… »
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Avec l’arrivée à l’école et à la cantine, les parents ont parfois l’impression de perdre beaucoup d’acquis…
M.-C. T. : Il reste des choses à faire auprès des collectivités. Mais nombreuses sont celles, aujourd’hui, qui ont déjà engagé un vrai cheminement pour l’alimentation des tout-petits, mis en place des formations du personnel et qui tendent vers cette approche sensorielle de l’alimentation. Mais un parent inquiet quant à l’alimentation de son enfant doit parler, poser des questions aux enseignants, à l’équipe qui s’occupe de la cantine, etc. Plus il y aura de communication avec les parents, plus l’enfant sera dans la même dynamique d’éveil. Je rencontre de nombreuses personnes de restauration scolaire qui apprécient de pouvoir parler aux parents. Parce que ça donne aussi du sens à leur métier.
Propos recueillis par Isabelle Pouyllau.
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