Les filles ont désormais leur journée internationale, le 11 octobre. Cela signifierait-il que les 364 autres jours de l’année sont, eux, dédiés aux garçons ? Plus particulièrement en ce mois, au cours duquel Milan soutient l’égalité des chances entre les deux sexes, Toupie s’est posé la question du sexisme dans les livres pour enfants. Éléments de réponse avec Françoise Guiseppin, libraire spécialisée en littérature jeunesse chez Ombres blanches, à Toulouse.
Y a-t-il une réflexion sur le sexisme au sein de la littérature jeunesse ?
Françoise Guiseppin : La littérature jeunesse a vraiment explosé ces vingt dernières années, parfois un peu à tout-va. Mais, depuis dix ans environ, cela s’est accompagné d’un mouvement de réflexion sur la problématique du sexisme. Certaines personnes ont porté un regard critique sur la production et ont mis en exergue des livres aux relents sexistes. Finalement, les études menées sur le sujet ont eu pour effet de rendre les éditeurs plus vigilants. Ils ont alors arrêté de proposer des livres où, systématiquement, Maman fait la vaisselle et Papa lit le journal ! Des livres clairement positionnés contre le sexisme se sont aussi inscrits dans le paysage, comme ceux de l’éditeur Talents hauts ou À quoi tu joues ?, chez Sarbacane. Cet imagier prend le contre-pied des idées reçues : les garçons, ça ne fait pas de la danse (et l’on voit un danseur), les filles, ça ne bricole pas, etc. Si il y a trente ou quarante ans, on avait des livres militant pour le féminisme, comme ceux des Éditions des femmes (avec Rose bombonne, par exemple), les livres d’aujourd’hui essayant surtout de sensibiliser à la nécessaire égalité des sexes.
Le sexisme est-il une réalité dans la littérature jeunesse d’aujourd’hui ?
F. G. : Oui, même si le mouvement est double. On constate effectivement la résurgence des genres dans la production : ainsi, depuis trois ou quatre ans, on voit réapparaître des petits personnages très convenus, très conventionnels. Ce qui est aussi assez alarmant, c’est le retour de livres très genrés avec des princesses pour les filles et des pirates pour les garçons. Même Gallimard a par exemple sorti un recueil de contes s’adressant aux filles et un autre s’adressant aux garçons. Ces choix éditoriaux sont parfois délibérés… mais pas toujours. Ce qui est encore plus à déplorer, car cela signifie que les différences sont vraiment inscrites dans les mentalités. Autre exemple : Martine, miroir des conventions par excellence, reste l’une des meilleures ventes de Casterman. Heureusement, des livres luttent aussi contre les clichés.
Quelles sont les demandes de vos clients ?
F. G. : De la même manière que la production de livres jeunesse s’oriente vers l’une ou l’autre tendance, les demandes s’expriment aussi dans les deux sens. Qui influence l’autre ? J’ai tendance à penser qu’il y a une offre parce qu’il y a une demande. Récemment, une cliente qui cherchait un album pour un petit garçon m’a dit : « Non, ça ne va pas, c’est une histoire avec une fille. Il ne va pas s’identifier ». Pourtant, ce petit garçon sait bien que les filles existent… D’un autre côté, des puéricultrices ou des professeurs veulent des ouvrages qui vont pouvoir les aider dans l’accompagnement des enfants. À l’école, il s’agit souvent pour les enseignants de désamorcer les guerres entre filles et garçons. Et c’est apparemment encore vrai chez les ados. À nous, libraires, de rester attentifs, car nous pourrions très bien avoir des rayons entièrement roses et d’autres entièrement bleus…
Propos recueillis par Delphine Soury