Pour compléter l’interview de Nawal Abboub, spécialiste du cerveau des bébés, nous sommes allés à la rencontre de 4 familles multilingues. Voici leurs témoignages et leurs expériences sur la pratique du bilinguisme au quotidien.

Couple franco-britannique, Jennyfer et Mark vivent en France avec Isabella, 5 ans, et Gabriel, 21 mois

« Avec Mark, nous avons toujours parlé anglais entre nous. Nous avons d’abord vécu ensemble au Royaume-Uni, puis nos enfants sont nés en France. Je leur parle dans ma langue maternelle, le français, et Mark dans la sienne, en anglais. Quand nous sommes en Angleterre, il m’arrive de leur parler en anglais. Mais, de manière générale, nous gardons chacun notre langue.


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Depuis un an, Isabella rejette un peu l’anglais : par exemple, si Mark lui demande quelque chose, elle va lui répondre en français, qui est devenu sa langue dominante, à l’école. Mais elle comprend tout à fait les deux langues. Par exemple, nous lui proposons systématiquement de lire des livres ou de regarder des dessins animés en anglais, pour essayer de « compenser » la dominance du français dans la vie de tous les jours.

Nous ne les forçons jamais, mais gardons à l’esprit qu’ils ont deux langues à assimiler.

Avec Gabriel, Mark essaie de conserver l’anglais au maximum, en ne répétant pas une phrase en français, comme il peut le faire avec Isabella. Ainsi, nous avons l’impression que Gabriel est plus « imprégné » par la langue de son père. Par exemple, il dit « Dada » pour « Papa », à l’anglaise. Mais nous ne savons pas si c’est parce que c’est plus facile à prononcer ou si c’est parce qu’il a mieux intégré l’anglais que sa sœur au même âge !

Notre crainte est qu’il parle un peu plus tard ou qu’ils aient moins de vocabulaire. Nous ne les forçons jamais, mais gardons à l’esprit qu’ils ont deux langues à assimiler. Nous considérons ce bilinguisme comme une réelle chance pour eux. L’important, il me semble, est que cela ne soit une corvée pour personne et que cela reste naturel. »

Nil est turque et son mari, Olivier, français : ensemble, ils ont longtemps vécu en Écosse. Elza, 5 ans, est née là-bas et sa petite sœur Lina, 2 ans et demi, en France. À la maison, trois langues se mélangent…

Le bilinguisme des enfants« Avec Olivier, nous avons toujours parlé en anglais : c’est la langue de notre rencontre. Je comprends peu à peu le français, mais je ne le parle pas. Je parle turc aux filles et Olivier leur parle en anglais et en français. Lui, comprend un peu le turc et peut se faire comprendre.

Depuis que nous vivons en France, le français est devenu la langue dominante. Pour nous, c’est la langue de « dehors », de l’école, des copains. Le turc et l’anglais sont les langues « de la maison », même si, à l’heure du repas, c’est parfois difficile !

Elza a parlé très tôt et, dès 18 mois, elle se faisait bien comprendre en anglais, en français et en turc. Mais, depuis qu’elle vit en France, elle ne veut plus parler anglais, même si elle le comprend bien. À l’oral, elle est moins bonne en turc qu’en français : on sent qu’elle pense en français et qu’elle traduit. Et pourtant, elle sait déjà lire en turc, car c’est une langue où tous les sons se prononcent. Lina, elle, a parlé plus tard, mais elle parle aussi bien le turc que le français. L’anglais, un peu moins qu’Elza à son âge, ce qui est normal. Quand elles jouent ensemble et que je suis présente, elles vont parler en turc, par exemple.

Les enfants ont besoin d’être encouragés : plutôt que de leur signaler leurs erreurs, c’est à nous de reprendre la bonne tournure dans une nouvelle phrase.

Pour moi, la langue turque, c’est mon héritage pour elles, bien plus que la nationalité de mon pays. Et je suis surprise de leur habileté à piocher dans ces trois langues. Leurs bases sont solides. Elza est capable, par exemple, de nous corriger en anglais ! Mon conseil pour de futurs parents bilingues est de ne pas vouloir à tout prix que leurs enfants aient un très bon niveau en langues. Les enfants ont besoin d’être encouragés et de prendre confiance. Plutôt que de leur signaler leurs erreurs, c’est à nous de reprendre la bonne tournure dans une nouvelle phrase. Et ne pas chercher à traduire systématiquement les mots nouveaux à la lecture d’un livre, car on change forcément des choses. Même s’ils ne comprennent pas tout, les enfants retiennent beaucoup par cœur, ils mémorisent très vite. Or, mémoriser, c’est déjà apprendre. »

Debora et Francesco sont italiens, mais vivent en France depuis 2 ans, avec Lorenzo, 5 ans, et Luca, 2 ans.

Le bilinguisme des enfants« En famille, nous avons toujours parlé en italien, même si Lorenzo est né à Bristol, au Royaume-Uni. Il parlait anglais à la crèche, jusqu’à notre arrivée en France. Après seulement quelques mois à l’école maternelle, il avait déjà perdu tout son anglais ! Luca, lui, est né ici : il a été gardé par une nounou française et, depuis septembre, il est gardé en crèche. Donc, même si nous parlons italien à la maison, il arrive qu’ils aient envie de parler français. Pour le moment, par exemple, tous deux préfèrent qu’on lise des histoires en italien : avec l’apprentissage de la lecture de Lorenzo, cette préférence pourra changer.

Parfois, je crains que mes garçons aient moins de vocabulaire, dans une langue ou dans l’autre. Qu’il leur manque toujours un petit quelque chose pour développer pleinement une langue.

Le bilinguisme des enfantsLorenzo a un moins bon niveau dans les deux langues que les enfants de son âge. Même si, en italien, il fait des progrès chaque fois que nous rentrons en Italie. En français, il lui manque du vocabulaire, mais aussi toute la notion de politesse de la langue : par exemple, il ne sait pas vouvoyer les gens ! Mais j’ai également été étonnée de voir avec quelle rapidité il a appris le français pendant sa première année d’école : même son accent est bon ! Luca aussi a commencé très vite à prononcer ses premiers mots. Et je sais que connaître plusieurs langues favorise l’ouverture d’esprit et donc cela me rassure. Ce qui me semble important, dans un bilinguisme, est de ne pas repousser ses racines, de garder sa propre culture, sa langue maternelle, pour parvenir à la transmettre à ses enfants. »

Antonia est née au Canada, il y a six ans. Ses papas, Loïc et Grégory, tous deux français, ont fait appel à une mère porteuse anglophone.

« C’est une vraie envie, pour nous, de conserver l’anglais à la maison. Je suis professeur d’anglais au lycée français de Luxembourg et j’ai vécu dans des pays anglo-saxons étant plus jeune : je parle anglais à notre fille depuis sa naissance. Son autre papa lui parle uniquement français. Et mon mari et moi parlons français entre nous. Nous avons aussi une jeune fille au pair, avec qui nous parlons anglais et qui parle anglais à notre fille.

Cela n’a pas été compliqué à mettre en place, car nous avons vécu dans un environnement exclusivement anglophone les premiers mois de sa vie. Du coup, tout s’est mis en place en anglais dès l’apprentissage du langage, autour de comptines, d’histoires en anglais. Aujourd’hui, Antonia parle très bien le français et le lit aussi. Elle s’exprime bien en anglais, même si elle fait davantage de fautes. Notre priorité reste quand même le français. Elle apprend aujourd’hui l’allemand dans son école et cela se passe plutôt bien. C’est certain qu’il a fallu persévérer car, dans notre cas, l’anglais n’est pas notre langue maternelle. Il faut être très proche du bilinguisme pour que ce soit le plus naturel possible. Sinon, ça ne fonctionnera pas et on prend le risque d’inculquer des erreurs de prononciation, de vocabulaire, de grammaire aux enfants… »

Propos recueillis par Isabelle Pouyllau


Merci à toutes les familles d’avoir répondu à nos questions et d’avoir un peu ouvert pour nous leur « dictionnaire » personnel… Photos : © Adobe Stock et photo personnelle des familles.