Philosopher et méditer avec les enfantsPhilosopher : une discipline élitiste, réservée aux adultes ? Pas forcément ! Les enfants en sont capables très tôt et ils peuvent même en tirer de nombreux bénéfices : confiance en soi, affinement du langage, dépassement des préjugés, développement de l’esprit critique. Toupie a interviewé le philosophe Frédéric Lenoir, auteur de Philosopher et méditer avec les enfants, pour en savoir plus.

 

Qu’est-ce que philosopher ?

Aristote nous dit que la philosophie commence avec l’étonnement. C’est parce qu’on s’étonne que l’on interroge le monde et soi-même. Vient ensuite le raisonnement par lequel on cherche à répondre aux questions, puis l’argumentation qui permet de partager son point de vue avec les autres.
 
À partir de quel âge est-ce possible ?

Dès 3 ans, les enfants s’étonnent et posent quantité de questions, parfois très métaphysiques ! On peut commencer à faire des ateliers de philo à partir de la grande section de maternelle, avec des enfants de 4 ou 5 ans. Avec eux, on peut par exemple se demander : qu’est-ce qu’un ami ? Qu’est-ce qui nous rend heureux ? Ou encore : pourquoi dit-on qu’il ne faut pas faire aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ? À cet âge, les enfants sont encore beaucoup dans l’intuition et le ressenti. Le plus intéressant, c’est de leur apprendre à s’écouter et à discuter entre eux de manière attentive et respectueuse. Vers 6-7 ans, ils commencent à développer une pensée abstraite et peuvent, dès lors, avoir un raisonnement plus structuré et une meilleure capacité à argumenter.
 
L’idée de faire philosopher les enfants est-elle nouvelle ?

Non ! Elle remonte à Épicure qui nous dit dans sa Lettre à Ménécée : « Qu’on ne remette pas à plus tard, parce qu’on est jeune, la pratique de la philosophie […] En effet, il n’est, pour personne, ni trop tôt ni trop tard, lorsqu’il s’agit de veiller à la santé de son âme. » Montaigne, au 16e siècle, reprend cette idée dans ses Essais en expliquant que l’éducation devrait permettre d’avoir une tête « bien faite » plutôt que « bien pleine ». Il est convaincu que la philosophie intéresse bien plus les enfants que toutes les autres matières et qu’elle peut leur apprendre à se former un jugement personnel. Il faudra pourtant attendre les années 1960 pour que cette pratique commence à se développer dans les écoles.
 
Comment philosophe-t-on à l’école aujourd’hui ?

Lors des ateliers à l’école (mais il est tout à fait possible de faire la même chose en famille, à la maison), les élèves se mettent en cercle et l’animateur se place au milieu. Il lance une question, part de celles des enfants ou lit un texte bref qui suscite un questionnement philosophique. Ensuite, la parole circule et l’animateur se contente de distribuer la parole, d’apprendre aux enfants à s’exprimer, à s’écouter, à ne pas juger. Il relance parfois la discussion par de nouvelles questions, lorsqu’elle s’enlise dans les exemples ou s’éloigne du thème abordé. Il doit aussi veiller à ce que tous les enfants participent à la discussion. Il ne dit pas ce qu’il pense, mais favorise l’émergence d’une pensée à la fois personnelle et collective. Les enfants adorent ces ateliers ! C’est un des rares espaces où ils peuvent être acteurs et créatifs, dire ce qu’ils pensent librement, sans crainte d’être jugés.
 
Qu’est-ce que la philosophie apprend aux enfants de maternelle ?

La philosophie leur donne confiance en eux, en leur capacité de réflexion personnelle et elle leur fait comprendre qu’on peut dépasser les préjugés par une réflexion plus poussée. Elle leur permet ainsi, à terme, de développer un esprit critique, de mieux comprendre la différence entre croire et savoir et d’acquérir un discernement personnel. Elle peut leur apporter aussi un affinement dans le langage, car certains enfants apportent des mots précis que peu connaissent et l’animateur peut aussi être amené à leur livrer un mot qu’ils cherchent.
 
Quels peuvent être les bénéfices pour la société future ?

Les ateliers de philosophie permettent aux enfants d’apprendre les règles du débat démocratique. On écoute l’autre et on cherche à le convaincre. Les thèmes abordés peuvent aussi leur apprendre à mieux vivre ensemble avec leurs différences et à comprendre la nécessité du bien commun. Je suis convaincu que, si tous les enfants du monde faisaient de la philo, le monde changerait en l’espace d’une génération !
 
Philosophe et sociologue, Frédéric Lenoir est l’un des cofondateurs de la fondation SEVE (Savoir être et vivre ensemble), dont la mission principale est de former des animateurs d’ateliers de philosophie et de méditation dans les écoles. Il a écrit de nombreux ouvrages, notamment Philosopher et méditer avec les enfants (Albin Michel, octobre 2016).

Frédéric Lenoir

Avant d’organiser un atelier…

Le site de l’OCCE (Office central de la coopération à l’école) a mis en ligne des documents qu’il peut être intéressant de lire avant d’organiser un « atelier philo » avec des enfants de maternelle. Par exemple, une institutrice de grande et moyenne sections partage ses méthodes, liste des questions philosophiques accessibles et retranscrit les débats de ses élèves. Instructif !