« Pipi ! Prout ! Caca boudin ! » Depuis quelque temps, votre enfant ne peut s’empêcher de ponctuer chacune de ses phrases par l’un de ces mots fleuris. Et le pire, c’est qu’à voir votre mine déconfite, il est mort de rire. Alors comment réagir ? La phase « caca-boudin » est-elle un passage obligé ?
Réponse avec Harry Ifergan, psychologue, psychanalyste et auteur de Mieux comprendre votre enfant*.
Quand et pourquoi apparaît la phase « caca boudin » ?
Harry Ifergan : La phase « caca boudin » apparaît vers l’âge de 4 ans et dure jusqu’à environ 6-7 ans, à l’approche de ce que l’on appelle « l’âge de raison ». Presque tous les garçons sont concernés et un bon nombre de fillettes, surtout lorsqu’elles sont en présence de garçons. Chez les enfants ayant des frères et sœurs plus grands, elle peut se manifester dès 3 ans, le plus jeune imitant ses aînés. C’est un stade intermédiaire entre l’apprentissage de la propreté vers 3 ans et la montée de l’agressivité verbale par les gros mots, vers 7 ans. Il est intéressant de remarquer que cela correspond, à 3 ans, au moment où l’enfant apprend à se contrôler sur un plan musculaire et physiologique pour devenir propre. Plus tard, il se libère et se « déverse » par la bouche grâce au langage scatologique. Puis il évolue encore en adoptant un langage plus élaboré grâce à des termes moins primaires, mais plus percutants sur le plan de la morale : les gros mots. C’est aussi par ce biais que l’enfant exprime une partie de son agressivité : il attaque par la parole quand d’autres le font sans maîtriser leur comportement. Cette évolution prouve que l’enfant a acquis une capacité d’abstraction et sait modifier une pulsion primaire en une verbalisation qui évite l’extériorisation de cette pulsion.
Pourquoi cela fait-il rire les enfants ?
H. I. : Parce que cela touche à des zones érogènes. Mais ces mots, lorsqu’ils sont prononcés, dispensent l’enfant de parler des parties sexuelles, pour plutôt évoquer ce qui en sort, c’est-à-dire ce qui est produit par ses organes et qui est mêlé inconsciemment à de l’agressivité. Pour cette raison, on comprend mieux pourquoi et comment la pulsion sexuelle et la pulsion agressive sont intimement liées.
Comment réagir ?
H. I. : Soit on ne réagit pas et cela fait « plouf ! », soit on en fait plus que l’enfant, au point qu’on lui ôte tout plaisir de nous épater… ce qui est assez typique des papas, qui voudraient se rappeler de cette « douce » période ! Certains parents, très stricts ou un peu conventionnels, interdisent totalement ce genre de débordements. Je préconise un peu plus de souplesse en autorisant trois mots vulgaires par jour, de façon à tolérer l’extériorisation de l’agressivité et du ludique, mais à petites doses.
Est-ce qu’à un moment, au contraire, l’enfant va être gêné d’en parler ?
H. I. : Oui, en général à l’orée de l’adolescence, mais aussi parfois dans le jeune âge, entre 4 et 7 ans, si l’on décide d’expliquer à l’enfant la raison qui l’amène à utiliser ce vocabulaire. Cela va correspondre à la période où l’enfant est capable de « choquer » ses parents autrement qu’avec des « pipi » et « caca boudin », qu’il est également capable de s’exprimer par son corps en pratiquant la danse ou un autre sport, ou de se bagarrer avec ses frères, par exemple. Il est aussi désormais en mesure de donner son avis, de dire ses désaccords ou ses revendications. Ces mots, qui paraissaient jusqu’ici « magiques » pour l’enfant, deviennent désuets, car d’autres formes d’expression plus précises sont désormais possibles.
Propos recueillis par Delphine Soury
* Mieux comprendre votre enfant, Harry Ifergan, Marabout, coll. « Family », 7,99 €.