L’école maternelle est une vraie petite société ! Il y a les « chefs » qui dirigent les groupes de copains – d’une main de fer pour certains, de velours pour d’autres – les « seconds » et les « lieutenants », qui veillent à l’application des ordres, les « fidèles » qui obéissent… et les autres, en périphérie, isolés ou rejetés. Toupie a interviewé la réalisatrice Valéria Lumbroso pour mieux comprendre qui prend le pouvoir, à la récré.

 

Comment les enfants de maternelle se regroupent-ils, à la récré ?

Valéria Lumbroso  : Chez les jeunes enfants, on ne peut pas vraiment parler d’amitié, car ils ne sont pas encore capables de construire une pensée autour de cette notion, ni d’expliquer pourquoi quelqu’un est leur ami. Ceci dit, ils développent très tôt (peut-être même dès la naissance) des affinités avec des personnes qu’ils trouvent sympathiques, tendres ou amusantes. C’est vers deux ans – quand ils jouent beaucoup à imiter – qu’ils commencent à s’intéresser plus particulièrement aux tout-petits de leur âge. Ils s’entourent alors de ceux qui leur ressemblent, qui ont les mêmes capacités et les mêmes goûts. Quand le langage est mieux maîtrisé, à partir de trois ans, leurs jeux évoluent : ils s’amusent davantage à « faire semblant ». Ils cherchent donc des compagnons pouvant assurer chacun un rôle différent et avec qui ils s’entendent sur les « histoires » à se raconter. Pour résumer, à la récré, chaque groupe se compose plutôt d’enfants qui aiment les mêmes jeux et qui ont à peu près le même niveau de maturité.

 

Dans ces groupes, qui sont les leaders ?

V. L.  : Ce sont généralement les enfants qui ont le plus d’idées de jeux et qui parviennent le mieux à arbitrer les conflits. Ils sont acceptés en tant que « chefs » car ils sont très appréciés des autres, utiles à la bonne cohésion du groupe et capables d’aider les copains les plus faibles. Un enfant leader peut être seul ou bien former un duo. Dans ce cas, il peut par exemple avoir un « second », auquel il est très attaché. Le reste du groupe est constitué d’enfants « satellites », qui gravitent autour d’eux. Cette forme d’organisation est souvent assez stable, sans être complètement figée : certains enfants isolés peuvent en effet être intégrés au cours de l’année scolaire, d’autres peuvent être exclus et, s’il change d’école, le « chef » peut être remplacé. Par ailleurs, un enfant leader à la récré peut se révéler plus en retrait dans d’autres contextes (au sein de la fratrie, par exemple) : ce qu’il apprend en tant que suiveur dans un groupe lui est alors utile pour s’imposer comme « chef » dans un autre !

 

Quelle est l’influence du leader sur les autres enfants ?

V. L.  : Elle peut être importante ! La plupart du temps, c’est lui qui distribue les rôles pendant le jeu. Il décide également d’inclure dans son entourage ou, au contraire, de rejeter un enfant. Ce pouvoir est d’autant plus fort que les membres de son groupe perçoivent comme valorisant le fait de le suivre et de le satisfaire. D’ailleurs, il n’est pas rare que certains petits « lieutenants » se chargent de faire appliquer les ordres de leur « chef ».

Le leader est-il toujours positif ?
V. L. : Malheureusement, non. Dans la cour de récré, on retrouve toutes les relations humaines que l’on peut voir à l’âge adulte. Il y a donc, logiquement, plusieurs types de leaders. Certains, très conciliants, font en sorte d’inclure beaucoup de copains dans leur groupe et que tout le monde se sente bien. À l’autre bout du spectre, il y a le petit « caïd » autoritaire, qui sème la terreur et qui fait du chantage du type : « Soit tu es avec moi, soit tu es contre moi.» Cela peut être inquiétant, car il exerce une mauvaise influence sur les autres et peut conduire à des formes de harcèlement scolaire. En maternelle, ce type de comportement agressif est souvent l’expression d’une difficulté de l’enfant à gérer ses propres émotions. Il est indispensable qu’un adulte l’accompagne dans ce trop-plein d’émotions et l’aide à se calmer.

 

Comment les parents peuvent-ils détecter ces situations, et réagir ?

V. L. : Pour les parents, comme pour les enseignants, il n’est pas toujours facile de repérer les cas de harcèlement scolaire, car l’enfant de maternelle ne va pas forcément en parler de lui-même. Les parents doivent rester vigilants. Ils peuvent s’alerter si leur enfant refuse soudainement d’aller à l’école et d’apprendre : cela peut être le signe d’un problème de relations sociales. Je leur conseille de discuter régulièrement avec leur enfant à la sortie de l’école, de lui demander comment s’est passée sa journée, avec qui il a joué à la récré et aussi d’inviter ses copains à la maison pour voir comment ils interagissent. En cas de doute, le mieux est d’en parler à l’enseignant, qui portera alors davantage d’attention à l’enfant.
 

Valéria Lumbroso est auteure et réalisatrice de documentaires sur le développement des enfants et leurs relations affectives et sociales.

Des vidéos pour aller plus loin…

  • Dans son film « Les Premiers Pas vers l’autre », Valéria Lumbroso observe le microcosme d’une classe de moyenne section, pendant toute une année scolaire. Elle capte leurs moments d’échange et de collaboration, leurs conversations, leurs conflits… Passionnant !
  • Valéria Lumbroso présente aussi sa série documentaire « 1 000 jours pour grandir » dans l’émission La Maison des Maternelles sur France 5. Chaque épisode décrypte, en s’appuyant sur les éclairages scientifiques récents, comment l’enfant entre en interaction avec le monde qui l’entoure.
    Grandir ensemble / Grandir pas à pas / Grandir avec les autres