En France, en 2018, sur 1000 naissances 17 concernaient des jumeaux. Ils n’étaient que 10 sur 1000 au début du XXe siècle. Aujourd’hui, les femmes ont des enfants plus tard et la probabilité d’une grossesse gémellaire augmente avec l’âge. Et le développement des techniques d’aide à la procréation participe à l’augmentation des grossesses multiples. La pédiatre Inès de Montgolfier a répondu à nos questions…

 

pediatre_Ines_MontgolfierPouvez-vous nous rappeler les spécificités des « vrais » et « faux » jumeaux ?

Inès de Montgolfier : « Vrai » et « faux » sont des termes que les médecins réprouvent ! Les jumeaux monozygotes sont issus de la fécondation d’un seul ovule : ils partagent le même capital génétique. On parle de jumeaux identiques. Les jumeaux dizygotes sont issus de la fécondation de deux ovules. On parle alors de jumeaux fraternels : ce sont deux enfants distincts comme des frères et sœurs.

Quelles sont les spécificités de développement des jumeaux ?

I. de M. : De la naissance à 2 ans, c’est l’étape de la « fusion ». Les jumeaux se voient en « bloc » et ne réalisent pas leur individualité. Leurs parents non plus, d’ailleurs, et c’est salvateur, car ils seraient épuisés s’ils devaient personnaliser leur prise en charge ! Puis vient la phase de la complémentarité, entre 2 et 6 ans. Les jumeaux s’observent, se découvrent et se répartissent même l’apprentissage des savoirs ! Par exemple, l’un d’eux va jouer à la voiture et l’autre le regardera faire… mais retiendra le geste, l’intention, etc. ! Il faut alors mettre en garde les parents de ne pas donner trop rapidement des étiquettes : « Ah, lui, il ne fait jamais rien, c’est sa sœur qui mène la danse, etc. ». Enfin, à partir de 6 ans, c’est la phase d’autonomie : chacun s’affirme dans son individualité. C’est à ce moment que peuvent s’ancrer des déséquilibres soit de fusion, soit de rapport dominant/dominé. Ces phases sont intégratives, c’est-à-dire que leur succession est obligatoire : les enfants ne peuvent pas s’individualiser s’ils ne sont pas passés par les périodes de fusion puis de complémentarité. Il faut donc respecter chaque étape.

 

À partir de quand peut-on les séparer dans leur quotidien ?

I. de M. : Il n’est pas souhaitable de chercher à séparer les jumeaux avant 2 ans. N’oublions pas qu’ils ont la double tâche de devoir à la fois se séparer de leur mère et de leur jumeau ! Il faut donc y aller progressivement. La question se pose au moment d’entrer à l’école. C’est alors une chance de pouvoir s’appuyer sur son jumeau ! Je conseille souvent de ne pas les séparer avant la grande section de maternelle, pour passer le cap du bouleversement de la première année, et avant celle du CP. Et il ne faut pas hésiter à leur demander leur avis, séparément, pour éviter les jeux d’influence ou de soumission plus ou moins bienveillants. Tout en gardant à l’esprit qu’on peut toujours se tromper, faire machine arrière, faire un test et attendre un peu afin que la séparation soit un enrichissement pour la paire.

Comment les aider à se positionner l’un par rapport à l’autre ?

I. de M. : Il n’y pas de technique particulière. Entre 2 et 6 ans, il faut qu’il y ait des moments où ces deux enfants disent qui ils sont, individuellement. Le comportement des parents doit ici être le même que dans toute fratrie, afin que les jumeaux apprennent à se respecter et à s’enrichir l’un l’autre.

 

Qu’en est-il de l’habillement similaire ?

I. de M. : Cela nous agace un peu, même si cela se comprend. Aidons plutôt les enfants à être convaincus que chacun est digne d’intérêt pour lui-même, pas seulement parce qu’il a un jumeau. Entretenir la ressemblance n’est pas nécessaire : elle existe ! Si certains parents sont très inquiets de ne pas reconnaître leurs enfants, qu’ils se rassurent : on trouve toujours une petite tache de naissance, une forme d’oreille qui permettra de les distinguer. Bien des parents de jumeaux se tromperont une nuit, et nourriront deux fois le même enfant. Ce n’est pas ça qui va les traumatiser !

 

Quelles sont les difficultés spécifiques que peuvent rencontrer des jumeaux ?

I. de M. : Essentiellement des troubles du langage. Et cela peut se régler facilement avec l’aide d’orthophonistes. Les scientifiques ont d’ailleurs observé que ces problèmes touchent plus facilement les jumeaux monozygotes garçons. Les jumeaux entendent la même quantité de mots que les autres enfants, mais ceux-ci ne leur sont pas directement destinés. L’entourage a tendance à s’adresser au « bloc gémellaire», ou développe pour l’un des enfants et finit par un « à ton tour maintenant, tu fais pareil…». Il faut y prêter attention.

 

On parle parfois de langage « secret » entre jumeaux…

I. de M. : Il s’agit de la cryptophasie, heureusement très rare. Certes, les jumeaux peuvent s’inventer des mots à eux, des codes qui enrichissent l’intimité de leur paire. Mais ils doivent apprendre à parler comme les autres enfants pour communiquer avec le monde. Notre rôle est donc de ne pas les laisser s’enfermer avec un langage propre et exclusif.

Et pour le reste de la fratrie ?

I. de M. : Les jumeaux sont des frères et sœurs qui prennent un peu plus de place, c’est certain. Il faut continuer à faire des choses en famille. Il est intéressant de guetter les affinités des jumeaux pour les autres enfants de la fratrie (admiration, jalousie…) : cela peut aider à comprendre leur caractère propre. Après 2 ans, les parents ne sont plus obligés de respecter le « bloc gémellaire » et peuvent proposer des activités différentes, des rythmes différents, etc. Certains séparent parfois leurs jumeaux en leur faisant partager la chambre des deux aînés : cela peut en effet les aider à s’individualiser. 

 

Pour aller plus loin : Une journée de la gémellité a lieu chaque année en novembre, organisée par la fédération jumeaux-et-plus.fr

 

Propos recueillis par Isabelle Pouyllau.
Illustrations : Laurent Simon.
Photos : © Luxstorm Pixabay / © G. Crismaiu / Unsplash.