Un couloir qui serpente comme un ruisseau, des couleurs douces, un café offert aux parents en entrant… Bienvenue à La Ronde des âges, une crèche inaugurée il y a à peine un an, à Toulouse.
Si l’accueil de chacun y est très important, la particularité de cette crèche, gérée par la Mutualité française, réside dans une simple porte, située dans la cantine. Derrière cette porte, c’est l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de Saint-Simon.
Un projet intergénérationnel réfléchi
Directrice de la crèche qui accueille une cinquantaine de « petiots » (comme on dit dans le Sud-Ouest…), Audrey Poupin raconte : « Nous avons mis six mois à imaginer cette crèche intergénérationnelle avec l’équipe de la maison de retraite. Nous avions une vision commune : enfants et personnes âgées sont deux publics intimement liés. L’enfant est en pleine période d’apprentissage et la personne âgée a, elle, des troubles sur des apprentissages acquis. Il nous était donc évident de travailler ensemble. »
Enfants et personnes âgées sont deux publics intimement liés. L’enfant est en pleine période d’apprentissage et la personne âgée a, elle, des troubles sur des apprentissages acquis.
L’idée était née, les valeurs partagées : c’est avec l’aide d’une animatrice, d’une psychologue, d’une diététicienne, d’une ergothérapeute et d’une psychomotricienne que des ateliers en commun entre bébés et personnes âgées ont été organisés.
Des ateliers pensés pour chacun
Jardinage, séance de motricité, ateliers de mandalas, de smoothies, thérapie animale avec un chien, musicothérapie : un à deux ateliers par semaine sont organisés. Et, cette matinée d’hiver, un atelier de lecture réunit quatre résidents de la maison de retraite et une dizaine d’enfants.
En arrivant dans la salle, Isra, Amelia, Gabin, Anna et les autres enfants s’assoient, un peu timides, sur les tapis et les poufs rassemblés. « Aaah, voilà les sucettes qui débarquent ! », s’exclame un résident de l’Ehpad, voyant les tout-petits arriver dans les bras des éducatrices. Imagiers, récits, albums : la lecture peut commencer, parfois hésitante. « Si tout pouvait être écrit aussi gros… », commente une résidente en ouvrant le premier livre…
L’accent mis sur l’interaction
Aujourd’hui, 21 personnes travaillent ensemble sur ce projet au quotidien. Pour tous les ateliers, les parents donnent leur accord. Et si, le jour J, un enfant semble ne pas avoir envie, il ne sera jamais forcé. Les résidents de l’Ehpad choisissent également d’y participer ou pas.
« Ces ateliers ne sont pas une arène où les enfants sont au spectacle. Il y a toujours un échange qui se crée », explique Audrey Poupin. « Un jour, lors d’un atelier de motricité installé dans le couloir, les enfants ont tout poussé sur le côté pour laisser passer les personnes âgées… Et là, on se dit qu’ils ont tout compris… »
De nombreux intervenants en crèches intergénérationnelles sont unanimes : ces rencontres peuvent même apporter un apaisement pour certains enfants très toniques et actifs. Les accompagnants de la maison de retraite remarquent également « qu’un atelier d’intergénérationnel est parfois plus bénéfique qu’une séance de psychomotricité ou d’ergothérapie… »
L’importance du lien social
Au bout de dix minutes de lecture, les « sucettes » commencent à s’agiter. Un livre fini, certains se rapprochent pour tenter de le saisir. Les regards et les sourires s’échangent alors. Chaque activité en commun dure environ 45 minutes.
« Pas la peine de savoir lire, conseille une résidente à sa voisine qui a dû mal à voir, vous regardez les images et vous inventez une histoire ! » Tout l’imaginaire du senior aux mille vies se met alors en marche. Les oreilles des petits s’ouvrent et les complicités se nouent.
Les ateliers intergénérationnels à la crèche permettent de retrouver un peu ce lien avec nos anciens, qui ont quelque chose à nous dire, à nous léguer.
« Aujourd’hui, il est très fréquent de vivre loin des grands-parents, constate Audrey Poupin. Les ateliers intergénérationnels à la crèche permettent de retrouver un peu ce lien avec nos anciens, qui ont quelque chose à nous dire, à nous léguer. Cela va de la valeur des choses, comme penser à reboucher les feutres, à l’enseignement de la nature lors d’un atelier jardinage, par exemple ».
Mohamed, 1 an, s’amuse à ramper entre les chaises pour enfin s’élancer sur deux pieds hésitants. « Ça tangue encore un peu, dis donc ! », s’interrompt alors la lectrice, malicieuse.
Éviter l’infantilisme
Comment éviter néanmoins l’infantilisme des personnes âgées dans un environnement d’autant plus enfantin ? Audrey Poupin répond : « Le personnel de cette maison de retraite se définit comme nous : nous sommes des accompagnants… » Accompagner, le mot est commun des deux côtés de la porte de la cuisine. Ce maître-mot est également fortement présent chez les résidents, comme le raconte la directrice : « Un jour, avant un atelier, une résidente m’a confié sa crainte d’y participer, parce que son mari était en train de décliner : “Vous savez, il faut être disponible psychiquement. S’ils sentent que je suis triste, je ne vais pas dégager quelque chose d’agréable…” Au lieu de le faire égoïstement, pour se faire du bien, les résidents de la maison de retraite ont aussi la conscience de nos tout-petits. »
« Tu vas abîmer tes yeux… »
L’atelier touche à sa fin. Les petits ont écouté, observé, se sont rapprochés, ont souri et sont un peu fatigués.
Les résidents, eux, ont échangé des réflexions, des souvenirs… « Chez moi, en Corrèze, on dit que les enfants rougnent : ça se dit ici ? », échangent deux dames tentant de consoler un tout-petit visiblement énervé de fatigue… « Je ne sais pas, mais il faut qu’il arrête de pleurer cet enfant, il va s’abîmer les yeux ! », lui répond une autre, avant de franchir la porte vers la maison de retraite.
Des deux côtés du bâtiment, chacun repart avec, certes, un peu de bonne fatigue mais également avec de vrais souvenirs à se remémorer… autant que possible.
Reportage : Isabelle Pouyllau. Photos : Vincent Gire / Milan presse
Merci aux enfants, aux résident et aux accompagnants de la Ronde des âges et de l’Ehpad de Saint-Simon pour leur accueil. La Ronde des âges est une crèche intergénérationnelle de Toulouse. Inaugurée en 2018, elle a obtenu le label « Écolo crèche » en 2019. De nombreuses structures du même genre ont ouvert en France, comme à Tourcoing (59) ou Aspiran (34), et dans le cadre du réseau « Tom & Josette » en Bretagne.
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