Choisir un prénom pour son enfant n’est pas une mince affaire… Influencera-t-il sa vie et son caractère ? Anne Laure Sellier, chercheuse en sciences comportementales à HEC Paris et autrice du Pouvoir des prénoms, nous éclaire !
Prénom classique ou original, que choisir ?
Le choix du prénom est une lourde responsabilité pour les parents. C’est une étiquette sociale qui conditionne notre comportement, forge notre identité et nous colle à la peau toute notre vie. Aujourd’hui, notre société hyperconsumériste et individualiste amène les parents à donner des prénoms toujours plus originaux à leur bébé, afin de souligner leur singularité. Mais, avant de pouvoir exprimer son individualité, un enfant a d’abord besoin d’être accepté ; or, un prénom peut nuire à son intégrité, allant parfois jusqu’au harcèlement scolaire. C’est pourquoi il est essentiel d’encadrer un tout-petit très tôt et de rester à l’écoute, car le prénom peut engendrer de réelles souffrances. Il faut que les parents gardent à l’esprit que le prénom de leur enfant, bien qu’ils l’aient choisi avec amour, ne leur appartient pas.
Cela veut-il dire que les prénoms communs ont plus de difficultés à s’individualiser ?
Pas du tout, bien au contraire. Lorsqu’un tout-petit porte un prénom original, il faut qu’il se mette à la hauteur de celui-ci ; la pression peut être considérable. Alors qu’en donnant un prénom plus classique, les parents ne marquent pas de projets pour leur enfant et lui laissent la possibilité de trouver sa propre individualité, de devenir ce qu’il souhaite.
Un prénom influence donc la vie de la personne qui le porte ?
Bien sûr ! Il existe des stéréotypes attachés aux prénoms et, par conséquent, des attentes en fonction de ceux-ci. Nous portons le masque de notre prénom et jouons un rôle à longueur de journée, et cette pression à se conformer à son prénom se manifeste dès l’enfance. Ainsi, si vous vous appelez Emma, vous vous plierez, inconsciemment ou non, à la représentation que les autres ont de ce prénom, afin d’être acceptée et reconnue comme telle. L’attitude sociale envers un prénom peut donc influencer l’apparence de celui ou celle qui le porte. Il semblerait en effet que nous ressemblions à notre prénom et une étude1 que nous avons menée a prouvé que nous en adoptions l’apparence faciale, par réflexe d’intégration.
Qu’en est-il de l’impact sur la réussite sociale ?
La réussite professionnelle peut être fortement corrélée au prénom d’une personne. S’il cause indéniablement des discriminations à l’embauche, il peut aussi, a contrario, permettre à un individu de grimper les échelons et d’occuper des postes à plus grandes responsabilités. Selon des recherches2, plus le nom et le prénom d’une personne sont fluides et faciles à traiter, plus cette personne sera rapidement promue. Mais le prénom peut également orienter des choix de carrière et apparaît corrélé avec la réussite au bac : en 2015, 2,6 % des Dylan ont obtenu la mention très bien, contre 21,9 % des Joséphine3 ! Bien entendu, le prénom reste révélateur du milieu social de l’individu, duquel dépendent parfois, statistiquement, la réussite ou l’échec.
Quelles recommandations donneriez-vous aux futurs parents ?
Mon premier conseil est de ne pas changer l’orthographe d’un prénom classique. Certes, c’est original, mais c’est aussi très complexe à intégrer pour autrui ! D’autre part, avant de donner un prénom, il est essentiel de demander l’avis d’autres personnes, proches ou moins proches. Chose que beaucoup de parents refusent, de peur que leur idée de prénom ne soit compromise ; mais si plusieurs personnes sont perplexes, peut-être faut-il les écouter. Enfin, lorsque l’enfant grandit, n’hésitez pas à jouer avec les surnoms et les diminutifs, qui peuvent permettre à l’enfant de s’approprier plus facilement son prénom.
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1 Recherche menée par l’université hébraïque de Jérusalem, HEC Paris et IDC Herzliya, et publiée dans Journal of Personality and Social Psychology (2017).
2 Selon des études de les universités de New York et Marquette (2015).
3 D’après une étude menée par le sociologue Baptiste Coulmont (2015).
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Et avant, c’était comment ?
Jusqu’au début du XXe siècle, il était courant de changer de prénom tout au long de sa vie : ainsi, Mozart s’est successivement fait appeler Wolfgang, Amadeus, Amadeo et Adam, pour répondre aux mutations de son identité. D’autre part, il était possible de modifier son prénom au cours d’une seule et même journée, selon ses activités et fonctions sociales : une femme pouvait donc s’appeler Simone le matin, lorsqu’elle vendait du pain, et Françoise l’après-midi, lorsqu’elle vendait du lait. Mais, depuis la Deuxième Guerre mondiale, nous avons perdu cette variabilité du prénom, pour des questions avant tout administratives.
Dossier réalisé par Marie Greco.