L’école inclusive fait la promesse d’accueillir tous les élèves dans un cursus classique. Mais comment passer d’une équation simple sur le papier à un nouveau modèle scolaire, aussi éthique qu’équitable ? Quels sont les constats sur cette école 2.0 dont nous fêtons cette année les 20 ans ? Entre chemin parcouru et évolutions attendues, regards croisés sur l’école inclusive, dans plusieurs établissements de l’Hexagone. 

À la rentrée de septembre 2024, on comptait 468 250 élèves en situation de handicap, soit 3,7 % des effectifs scolaires. Un chiffre qui a été multiplié par trois depuis l’adoption de la loi pour l’école inclusive en 2005. 

Le 11 février 2005, la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées était adoptée. Ce texte posait les jalons d’une société inclusive, dans laquelle tout élève en situation de handicap devait pouvoir trouver une place dans l’école de son quartier. Une avancée majeure qui nécessitait certaines adaptations du système scolaire. Quel bilan peut-on en dresser aujourd’hui ? Amélie est enseignante en maternelle, dans l’Hérault. Elle explique à quel point l’école inclusive est un progrès pour l’ensemble des enfants : « Il n’y a plus à ouvrir le sujet théorique du handicap, les choses se font naturellement. » Au quotidien, les différences se côtoient et avancent ensemble. « Chacun ses forces et ses faiblesses, c’est visible et cela va bien au-delà du handicap. Les enfants y sont habitués et cela lisse toutes les différences, quelles qu’elles soient ! » Elle raconte qu’elle a vu se développer une bienveillance des camarades les uns envers les autres, et que c’est d’une grande richesse. L’enseignante pointe notamment les atouts de diagnostics aujourd’hui plus précoces et plus efficaces. « On ne voit plus de situation comme il y a quelques dizaines d’années, avec l’élève un peu “oublié” au fond de chaque classe, et qui portait cette étiquette de cancre, car rien n’était pensé pour le recevoir convenablement. »

« Il reçoit beaucoup d’amour de ses camarades »

L’école inclusive ouvre la porte à un parcours moins stigmatisant pour les enfants en situation de handicap, comme le confirme Amélie : « Avant, ils étaient essentiellement à la maison ou entourés d’enfants en situation de handicap. C’est très positif pour eux de fréquenter un établissement ordinaire, cela permet également aux parents de souffler et de reprendre le travail. » Une avancée que confirme Marie-Éveline, maman de Robin, 5 ans : « On a diagnostiqué un trouble de spectre de l’autisme à mon fils. Il faisait énormément de crises, le quotidien était très compliqué à gérer. Depuis l’entrée à l’école maternelle, je vois des progrès considérables. Suivre un cursus ordinaire l’a beaucoup aidé, il est apaisé et reçoit beaucoup d’amour de ses camarades. » Cette maman solo, qui a pu reprendre une vie professionnelle avec des horaires aménagés, voit les crises diminuer et son enfant s’intégrer progressivement. « L’isolement serait la dernière des solutions pour lui, cet accueil à l’école lui est nécessaire. Bien sûr, ces évolutions sont en grande partie rendues possibles grâce à son AESH, qui l’accompagne au quotidien. »  

« Il reste bien des attentes pour faire de l’école inclusive une vraie solution »

Bien sûr, l’une des pierres angulaires de l’école inclusive, ce sont les moyens humains et financiers mis à disposition, et c’est là où le bât blesse. Marie a 26 ans, elle est AESH* à Toulouse depuis six ans. Elle nous confie son quotidien : « Mon rôle est d’aider les enfants dans leur vie quotidienne à l’école, de les accompagner dans leurs apprentissages et de les guider vers l’autonomie. » Elle mentionne rapidement le problème auquel elle fait face. « L’école inclusive, c’est une nécessité pour que tous les enfants, en situation de handicap ou non, puissent découvrir la collectivité et la différence, mais le système scolaire n’est pas encore tout à fait adapté. Il y a un manque d’AESH dans tous les établissements, ou presque. Dans mon école, nous devrions être quatre, mais nous ne sommes que deux. Nous avons beaucoup de mal à respecter les aides individualisées. Il y a beaucoup d’entraide entre nous, ainsi qu’avec les ATSEM et les enseignantes, mais certains enfants ont des besoins très importants qui nécessitent une attention continuelle. Les conditions d’accueil ne sont pas encore optimales. » Un constat que corrobore Solène, directrice d’une école maternelle à Toulouse : « L’école inclusive, c’est un droit pour la famille, mais, sur le terrain, il reste bien des attentes pour en faire une vraie solution. » Elle évoque notamment les moyens humains, avec la nécessité de recruter plus d’AESH afin de répondre au mieux aux besoins de chaque élève, mais aussi de mieux les former à la diversité du handicap. À ce jour, les AESH reçoivent une formation de soixante heures. Ensuite, il leur faut apprendre sur le terrain. Solène explique : « Dans chaque circonscription, un-e enseignant-e ressource peut-être contactée par les AESH lorsqu’un accompagnement questionne ou déstabilise, afin d’échanger sur les choses à mettre en place. » « Mais est-ce suffisant ? » s’interroge-t-elle. 

Banaliser le handicap

Amélie, dans l’Hérault, regrette qu’« il n’y ait pas plus de classes spécialisées dans les écoles, afin d’offrir un environnement privilégié à l’enfant en situation de handicap pour quelques heures par semaine, lui permettant de poursuivre le reste de l’enseignement en classe ordinaire. » Elle évoque également « les moyens matériels, qui manquent cruellement, car ces enfants ont des besoins particuliers auxquels il est nécessaire de répondre. » L’utilisation de pictogrammes pour faciliter la communication avec les enfants autistes, par exemple, ou encore les casques antibruit, sont autant de matériel qu’elle décrit comme « nécessaire pour un accueil digne de ce nom ». « Lorsque le système scolaire se donnera les moyens inconditionnels de ses ambitions, alors l’objectif de l’école inclusive sera atteint : banaliser le handicap. »

*Accompagnant d’élèves en situation de handicap (anciennement AVS).


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Dossier réalisé par Aurélie Renne.