Le « stade du miroir » est un concept complexe, mais ô combien important dans la construction de l’identité de l’enfant. Nicolas Koreicho, psychanalyste et psychothérapeute, nous aide à comprendre cette étape essentielle dans la vie de bébé.
« Je », dissociable de l’autre
Le stade du miroir est un concept d’abord formulé par le psychologue Henri Wallon (1901-1981), avant d’être repris et développé par le psychiatre et psychanalyste Jacques Lacan (1979-1962), dans les années 1930. Selon notre spécialiste, « c’est une épreuve de séparation et d’intégration, qui a lieu entre 6 et 18 mois, où l’enfant prend conscience de son corps et le distingue de celui de sa mère. Il faut savoir qu’à la naissance le bébé ne discerne pas de limite entre lui et l’autre, et n’a donc pas la capacité de considérer un “moi”. » Ainsi, voir son propre reflet dans le miroir permet au tout-petit de se confronter à son image globale, et d’acquérir un sentiment d’unité : il ne perçoit plus son corps de manière morcelée (les mains, les jambes, les pieds…), mais dans son intégralité. C’est donc une étape importante, symbolique et structurante dans le développement psychologique de l’enfant.
L’autre, indispensable à la reconnaissance de soi
La reconnaissance de soi se constitue d’abord dans la relation à l’autre. Nicolas Koreicho nous confirme qu’« il faut nécessairement la présence des parents pour que le bébé puisse s’identifier comme sujet, comme “je”. D’abord parce que, devant le miroir, l’autre, singulièrement la mère, est la première personne que le tout-petit reconnaît et à laquelle il s’identifie, mais aussi et surtout parce que celle-ci accompagne l’enfant de gestes et de mots, si possible affectueux, qui vont l’aider à prendre conscience de son unicité et de sa cohérence. C’est donc dans l’interaction, et parce que son parent lui dit : “Regarde, c’est toi”, que bébé réalise, avec une certaine jubilation, que ce qu’il contemple, c’est lui-même. » Ainsi, pour reprendre le paradoxe du pédiatre et psychanalyste Donald Winnicott (1896-1971), le stade du miroir est une étape que l’enfant doit traverser « seul en présence [de l’autre] ».
L’autre, indispensable à la construction de l’image de soi
Le stade du miroir est fondamental à la constitution du narcissisme, qui est le socle des compétences, de la confiance en soi et de la personnalité de l’enfant. Et pour que le narcissisme soit solide et structurant, l’autre joue un rôle essentiel : « En réalité, le miroir en tant qu’objet n’est pas l’important, car ce qui compte, c’est l’attention portée à l’enfant. Il est fondamental qu’il se sente apprécié par l’autre, et que cet autre lui renvoie une image positive de lui-même, afin qu’il puisse trouver un équilibre et se construire de manière stable. A contrario, un bébé négligé peut rapidement développer un sentiment de culpabilité, ce qui peut avoir des conséquences dramatiques sur son développement et entraîner, à l’âge adulte, des psychoses ou une mésestime de soi. » À ce propos, Winnicott situait le visage maternel comme précurseur du miroir : « Lorsque le bébé regarde sa mère, il se voit lui-même, car ce qu’elle exprime est directement lié à ce qu’elle voit. Ce qui va influencer la perception que l’enfant aura de sa propre personne », explique Nicolas Koreicho. L’attachement de l’enfant à son parent est donc nécessaire à son bon développement et à la construction de son identité !
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Étape par étape…
1- À 6 mois, bébé ne voit que l’image de l’autre, sans avoir conscience de la sienne.
2- À 12 mois, bébé touche le miroir, le lèche. Il pense voir quelqu’un d’autre en face de lui.
3- Entre 16 et 24 mois, son reflet peut mettre bébé mal à l’aise, il s’en détourne.
4- Dès 18 mois, le tout-petit s’identifie enfin !
À tester !
Où en est bébé dans la découverte de son « moi » ? Pour le savoir, le docteur Michael Lewis (né en 1937) a mis au point une expérience qu’il est possible de reproduire à la maison : il suffit de placer bébé devant un miroir et de mettre discrètement du rouge à lèvres sur le bout de son nez. S’il touche le miroir pour l’enlever, bébé n’a pas encore tout à fait conscience de lui-même. En revanche, s’il frotte son propre nez, nous y voilà !
Dossier réalisé par Marie Greco.