Violoniste, Virginie Basset intervient dans des services de néonatalogie et de pédiatrie à Clermont-Ferrand et à Lyon. Quels sont les bienfaits de la musique sur les nouveau-nés prématurés ou les bébés hospitalisés ? Et, plus largement, que vient faire une artiste entre les murs de l’hôpital ? Telle est la réflexion menée par la musicienne depuis plusieurs années.
Quelle a été votre démarche ?
Virginie Basset : À la demande d’associations, je suis d’abord intervenue ponctuellement. J’ai eu envie de creuser cette question de la présence de l’artiste en milieu hospitalier. L’hôpital des enfants est un lieu qui nous touche tous, qui nous émeut. Pendant quatre ans, je suis alors venue jouer et chanter au sein du service néonatalité de l’hôpital de Clermont-Ferrand, puis au service de périnatalité à Lyon. Quand un enfant sourit, qu’il s’est détendu, amusé, guérit-il plus vite ? Je ne sais pas… Entendre une mélodie participe peut-être à un mieux-être des malades. Avec ma musique, j’essaie surtout de renforcer le lien humain, fondamental à l’hôpital. Ce lien, ce sont d’abord les soignants qui le tissent avec les malades et leurs familles, dans des conditions de plus en plus difficiles.
Comment se déroulent vos interventions ?
V. B. : Je commence toujours par faire un point avec les soignants. Est-ce que le service est calme aujourd’hui ou, au contraire, très agité ? Y a-t-il des enfants qu’il ne faut pas aller voir parce que leur état ne le permet pas ? Je ne rentre jamais dans une chambre sans avoir vérifié auparavant. Je joue un peu dans le couloir, pour manifester ma présence. Puis je passe de chambre en chambre et propose un moment de musique, plus ou moins long. Cela dépend de l’envie, de la disponibilité, de la fatigue… Les soignants me sollicitent aussi pour accompagner un soin douloureux, par exemple.
C’est-à-dire ?
V. B. : Un jour, une soignante m’a demandé de jouer lors d’un pansement difficile à réaliser. Elle m’a confié : « Voilà comment j’aime travailler. En prenant le temps. L’enfant n’a pas eu mal… » Ce n’est pas évident de pratiquer des gestes que l’on sait douloureux. Alors, se dire qu’on a fait le maximum pour que cela se passe le mieux possible, c’est une satisfaction. La présence artistique peut participer à ça. Je propose aussi régulièrement aux soignants épuisés de jouer un morceau et de se « poser » ensemble, même pour une minute. Avec l’art, on touche à l’intime, à l’humain. Mon rôle est aussi de prendre soin de ces choses-là, de participer peut-être à un mieux-être plus global.
POUR ALLER PLUS LOIN : Bébé et la musique, un dossier à lire dans Le coin des parents de Picoti !
Que jouez-vous ?
V. B. : Auprès des bébés, je chante surtout des berceuses. J’utilise peu mon archet, car je me suis aperçue qu’il fait parfois peur aux adultes. Le violon véhicule une image d’instrument qui sonne fort, ou très aigu. Alors, je le tiens comme une guitare et je joue du bout des doigts. Mon répertoire est large : musique classique, musiques du monde ou improvisation. Je me permets aussi d’arrêter un morceau en plein milieu et de changer de style, en fonction de ce que je « sens » dans la situation. En musique du monde, de nombreuses berceuses racontent des « Tout ira bien », des « On s’occupe de toi »… C’est cet apaisement que j’ai envie de transmettre. Mais je fais attention à la traduction de chaque berceuse. Il faut éviter de chanter « Papa et Maman veillent sur toi » quand il n’y a pas de papa, par exemple.
Quelles sont les réactions ?
V. B. : Quand j’entre dans une chambre, j’ai une présence spécifique, différente de celle des soignants. Et je crois que le tout-petit enfant le perçoit… Le chant est un outil de mise en relation incroyable avec les bébés. Les réactions de nouveau-nés, y compris des prématurés, sont très subtiles. Chez un bébé hospitalisé, chaque détail compte. Une petite main qui bouge, un visage qui s’illumine, des yeux qui cherchent la source du son… Quand le bruit des machines se calme, j’observe une détente corporelle chez les bébés. Les mains, les épaules se relâchent. Et les parents se détendent aussi. L’un ne va pas sans l’autre. Parfois, dans la respiration des bébés, j’entends une vocalise, un apaisement. Et, à l’inverse, une tension peut aussi se créer. Pour un enfant qui a passé une nuit difficile, écouter de la musique demande trop d’efforts. En cela, la musique ne fait pas toujours du bien. Avec l’aide des soignants, j’ai appris à décrypter ce que signifie tel ou tel « bip » des machines. Dans ces cas-là, je m’éclipse…
Et chez les parents ?
V. B. : J’ai choisi de chanter en plusieurs langues, parce que, déjà, je n’aime pas chanter en français ! À l’hôpital, on croise des familles avec des cultures différentes. Quand on veut nourrir le lien entre humains, chanter dans la langue des autres est un très bon moyen d’entrer en relation. J’ai vu des familles s’ouvrir parce que j’allais vers leur culture. Et, dans ces cas-là, ce n’est plus moi la spécialiste de la chanson. Ce sont eux. Cela leur donne une légitimité à parler et à chanter dans leur langue, même si ce n’est pas celle de l’hôpital. Il y a peu, j’ai croisé une maman et sa fille, rencontrées lors de mes premières interventions. La maman disait : « Souviens-toi, c’est la dame qui est venue te chanter LA chanson ! » J’aime que certaines familles se soient approprié une chanson, parce que c’était la chanson de l’hôpital, la chanson du doudou et qu’elle accompagne la famille dans la durée.
Propos recueillis par Isabelle Pouyllau
Virginie Basset propose Et si Violon chante, une respiration musicale pour les 0-4 ans. Elle est coautrice de Le tout-petit va au spectacle, éditions Érès. www.virginiebasset.com
En mars-avril 2017, la photographe Sandrine Boutry a accompagné Virginie Basset sur plusieurs séances de musique en périnatologie au CHU de Clermont-Ferrand. Cette rencontre a donné lieu à une exposition. Certaines photos de ce dossier sont tirées de cette exposition.
ENSEMBLE AUTREMENT…
Comme beaucoup d’autres, Virginie Basset voit sa profession malmenée par la crise sanitaire : « Personnellement, filmer des concerts, jouer devant un ordinateur ne me correspond pas du tout. Cela est un très pâle reflet de ce que signifie “être ensemble” et partager un spectacle. J’ai pris le parti de jouer dans les rues de mon village quand la météo le permet. Et, comme à l’hôpital, je rencontre des gens qui ne pousseraient pas forcément la porte des salles de spectacle. Et ça, c’est une richesse phénoménale. »
Photo générale du dossier : Adobe Stock. Photos hôpital : © Sandrine Boutry. Photo concert : © André Hébrard.