Exposer des bébés aux écrans est aujourd’hui considéré comme un problème de santé publique. Mais qu’en est-il de notre hyperconnexion à nous, parents  ? Nous déconnecte-t-elle de nos enfants  ? Michel Desmurget, neuroscientifique, nous explique.

Est-ce que l’utilisation des écrans par les adultes entrave la communication avec l’enfant ?

Avant toute chose, il est important de préciser que l’objectif n’est pas de culpabiliser les parents : tous agissent pour le bien de leur enfant. Mais il y a un manque d’information quant à l’impact que l’hyperconnexion parentale peut avoir sur les tout-petits, notamment au niveau des interactions verbales, émotionnelles et physiques. Des chercheurs ont voulu mesurer ce phénomène en proposant à des parents de faire goûter à leur enfant des gâteaux qu’il ne connaissait pas. Pendant l’expérience, presque 30 % des parents ont spontanément sorti leur téléphone, entraînant une diminution d’un tiers des interactions verbales. Quant aux interactions non verbales (se sourire, se regarder, se toucher), elles ont été réduites de près de 60 %, tout comme les encouragements, qui ont baissé de 75 %. Résultat ? Des bébés moins accompagnés par leurs parents et plus réticents à l’idée d’explorer le monde et de goûter un nouvel aliment ! Preuve que les écrans perturbent la communication intrafamiliale et sont source de difficultés d’apprentissage. C’est ce que le chercheur en psychologie ­Brandon T. McDaniel appelle les «  technoférences  ».

Cela peut-il entraîner un trouble de l’attachement ?

Quelques études commencent à sortir sur le sujet. Elles semblent montrer, effectivement, que ces interférences sont délétères et que l’attachement est impacté. Ce qui n’est pas surprenant, car il dépend en grande partie de la qualité et du nombre d’interactions précoces. Il faut aussi comprendre que les enfants sont sensibles à nos réactions face à un écran : si nous recevons un mail peu réjouissant sur notre smartphone, bébé perçoit notre changement d’émotion soudain, mais ne le comprend pas et peut même «  penser  » qu’il en est la cause. Nous rompons brusquement le partage avec lui, ce qui peut renforcer son sentiment d’insécurité.

L’utilisation des écrans par les parents peut-elle freiner le développement de bébé ?

Oui, elle a des conséquences non négligeables sur le développement intellectuel, langagier, social et émotionnel de l’enfant, car elle réduit l’ampleur et la qualité des relations interpersonnelles. Même en fond sonore, les écrans peuvent altérer ­l’attention, le sommeil et le développement cognitif. Le bruit d’une télévision peut rapidement interrompre ­l’enfant lorsqu’il joue ; il ne parvient alors plus à faire progresser son jeu, car il n’a pas encore les capacités de le reprendre là où il s’est arrêté. Il change donc d’activité, ce qui ne joue pas en faveur de son développement.

Le temps d’écran des parents a-t-il une incidence sur celui des enfants ?

Plusieurs facteurs expliquent la consommation infantile du numérique : d’abord, la précocité de l’exposition, puis la disponibilité d’écrans à la maison et, enfin, l’usage parental. Certes, il y a un phénomène d’imitation sociale, mais le vrai problème est que plus les parents sont eux-mêmes consommateurs, plus ils sont enclins à penser que le numérique ne rend pas «  idiot  » et que l’inquiétude ambiante est exagérée. Il faut dire à ces parents que le cerveau en construction de l’enfant est bien plus vulnérable que le cerveau de l’adulte  ; au même titre que l’effet d’un ouragan est plus dévastateur sur une maison en construction que sur un bâtiment entièrement construit.

© shangarey/Adobe Stock.

___________________

5h30 par jour

C’est la durée pendant laquelle un enfant de moins de 2 ans serait indirectement exposé à la télévision.

Dossier réalisé par Marie Greco.