Toupie magazine a interviewé Catherine Watine, « ludologue », combinaison de sa formation initiale de psychologue et de ses années de ludothécaire. Longtemps membre du jury pour le Festival du jeu de Cannes, elle nous livre sa vision de l’importance du jeu pour le jeune enfant.
Quelle est votre définition du « jeu de société » ?
Catherine Watine : Au 18e siècle, on disait « jeu de la société », pendant lequel on « faisait société », c’est-à-dire où l’on allait vers l’autre. Aujourd’hui, le jeu de société se définit, pour les professionnels, en opposition aux jeux spontanés, d’imitation et d’éveil, où l’enfant crée sa propre règle. Dans le jeu de société, la règle est imposée par l’extérieur, par l’auteur du jeu. Quand on nous propose de faire un jeu de société, on fait le choix, ou non, d’y participer. Or, pour les enfants de moins de 6 ans, cette notion de décision n’est pas évidente, le respect de la règle est très difficile pour eux : ils préfèrent qu’elle soit racontée comme une histoire ou un conte. Et il est important qu’ils aient la possibilité de sortir du jeu quand ils veulent. On ne peut pas leur imposer de terminer une partie, par exemple.
LE 29 MAI 2021 : LA FÊTE DU JEU MONDIALE
Depuis plus de 20 ans, l’Association des Ludothèques françaises (ALF) organise cette opération qui s’inscrit dans le cadre du World Play Day. L’occasion de mieux connaître ce qui se passe en ludothèque tout au long de l’année ! Plus d’information sur le site de l’association.
On voit apparaître de plus en plus de jeux, dits « de société », dès 3 ans…
C. W. : Oui et certains sont excellents, notamment pour apprendre à se concentrer, à patienter, etc. Les créateurs de jeux font preuve d’une imagination incroyable en utilisant les codes du conte, justement : les plus petits peuvent jouer avec leurs propres peurs, par exemple. C’est le cas des jeux où il faut cacher et retrouver quelque chose, avec des effets de surprise. Les pions ressemblent à de petits jouets, et les dés sont adaptés. Entre 3 et 6 ans, ce passage du jouet symbolique vers la règle du jeu où l’on attend son tour est un sacré apprentissage.
Qu’apportent les jeux de société aux enfants ?
C. W. : Jusqu’à 4 ans, les enfants sont en recherche de leur propre identité : ils ont du mal à jouer l’un avec l’autre. Ils n’inventent pas encore des scénarios en commun. Avec les jeux coopératifs, justement, on propose de jouer tous ensemble à la même histoire. À partir de 4 ans, le fait de jouer ensemble devient plus aisé. Le jeu de société aide et prépare ainsi à jouer ensemble autour d’un même scénario. Par exemple, les enfants se rendent compte des émotions des uns et des autres autour du plateau, etc. Les jeunes parents d’aujourd’hui ont de plus en plus la culture du jeu, c’est une manière fabuleuse de partager des émotions, en famille. Les jeux d’aujourd’hui sont tellement bien faits que même les adultes y prennent du plaisir. Or, les enfants sont très sensibles à cette notion de plaisir partagé.
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Pourquoi est-ce parfois difficile, pour un enfant entre 3 et 6 ans, de jouer à un jeu de société ?
C. W. : Entre 3 et 6 ans, les enfants sont surtout très moteurs : le mouvement leur est essentiel. Or, dans le jeu de société, on va leur demander de s’arrêter, de « se poser » autour d’une table. Pour eux, cela représente déjà un effort. Mais les enfants le font souvent avec plaisir, car ils sont dans l’imitation de l’adulte : « faire un jeu de société » va alors presque devenir un jeu d’imitation, au même titre que la dînette ! Avant 6 ans, les enfants ne sont pas autonomes face à un jeu de société. Ils ne peuvent pas jouer seuls face à un pair ou quelqu’un d’autre. C’est donc toujours mieux de jouer à deux ou en équipe, avec un adulte ou un enfant plus grand. Il faut que ça reste un moment de plaisir, convivial, et pas un exercice, pas un challenge sérieux. Et il faut être très patient avec eux.
Quels conseils donner aux parents qui ne sont pas joueurs ?
C. W. : Il ne faut pas se forcer à jouer : il faut que cela reste un plaisir. Jusqu’à 6 ans, le jeu de société n’est pas du tout obligatoire ! Vous pouvez vous rendre en ludothèque où des professionnels sont à votre disposition pour initier petits et grands. Et en ludothèque, on fait très attention à ne pas poser un jugement sur le comportement d’un enfant face au jeu. Être mauvais joueur ou mauvais perdant, c’est un tempérament mais ce n’est pas grave. Dans ces cas-là, privilégier les jeux de hasard, pour être à égalité avec son enfant. On essaie d’aider les parents à relativiser quand un enfant de 5 ans envoie valser les cartes : ce n’est qu’un jeu, justement ! Et à partir de 4-5 ans, un enfant n’est pas dupe quand vous le laissez gagner et généralement, il n’aime pas ça !
Propos recueillis par Isabelle Pouyllau
Catherine Watine est présidente de l’association À l’adresse du jeu, qui œuvre depuis 25 ans pour la reconnaissance du jeu de société comme objet culturel, autour de différents lieux à Paris et à Montreuil, ludothèques, espaces de jeux à ciel ouvert, cafés-jeu… Plus d’informations sur le site internet.
Photos du dossier : Adobe Stock ; ALF.