Arracher un jouet des mains, griffer, provoquer, bousculer… en maternelle comme en primaire, ces gestes paraissent parfois anodins aux yeux des adultes. Pourtant, ils peuvent être ressentis comme de véritables agressions. Alors, faut-il y voir les prémices du harcèlement scolaire ? Comment réagir face à de tels comportements ? La psychopraticienne Amélie Devaux, spécialiste de la souffrance scolaire, décrypte la situation.

Le harcèlement : dès la petite enfance ?

Même s’il est moins fréquent que chez les grands, le harcèlement scolaire touche désormais les enfants d’école primaire, voire de maternelle. Un rapport de domination peut même effectivement apparaître chez les tout-petits. Pour notre spécialiste, « le harcèlement à l’école est une “escalade complémentaire” entre un élève qui subit régulièrement une violence et un ou d’autres élèves qui en tirent un bénéfice. Dans cette “relation”, un enfant en ressort toujours plus fort et un autre toujours plus faible ». Dans les faits, au primaire, cela prend souvent la forme de mises à l’écart, par exemple. Mais au collège, les comportements s’intensifient. Les attaques deviennent collectives, plus directes, et visent explicitement l’humiliation. C’est d’ailleurs cette intentionnalité qui différencie les conflits du harcèlement. « En maternelle, c’est un peu différent, nous explique Amélie Devaux. En apprenant à vivre en collectivité, les jeunes enfants commettent inévitablement quelques incivilités et ce n’est pas anormal de voir des enfants s’arracher un jouet des mains, par exemple. » Malgré tout, ces comportements agressifs, ou de « pré-harcèlement », qui paraissent parfois anodins, peuvent se transformer en véritable harcèlement au fil des années.

Accompagner les enfants face à ces agressions

Pour la psychopraticienne, « il est important de voir comment les enfants s’opposent d’eux-mêmes à ces démonstrations de pouvoir. Et ils peuvent le faire ! Il faut simplement les outiller pour qu’ils soient dans l’action, et non dans l’immobilisme qu’engendre le harcèlement. Je pense que les agresseurs savent qu’ils font du mal et que les témoins et victimes comprennent bien ce qu’il se passe. Et en leur donnant les clés, je crois que les élèves de maternelle peuvent apprendre à dire : “Non, tu n’as pas le droit de faire ça.” » C’est d’ailleurs là l’un des moyens les plus efficaces pour faire reculer le harcèlement. Toutefois, il est aussi essentiel d’être attentif et d’observer ce qui se passe afin d’intervenir si besoin et de ne pas laisser la situation se dégrader. Expliquer aux enfants ce qui n’est pas normal dans leur comportement est capital, même si prendre part aux conflits peut être délicat. « L’injonction morale venant des adultes, que ce soient des professeurs ou des parents, ne fonctionne pas toujours pour arrêter le cercle vicieux, explique la spécialiste.Notre intervention peut aussi empêcher les enfants de trouver leur solution. » L’idéal serait donc d’éduquer les enfants au harcèlement en amont, avant même que les tensions se manifestent. 

Prévenir le harcèlement avec la méthode des 3E  

  • Apprendre à reconnaître et exprimer ses ÉMOTIONS : un enfant qui sait identifier ses émotions et les nommer sera en mesure de mieux les gérer, chez lui comme chez les autres. Ainsi, s’il voit un camarade pleurer, il comprendra que l’enfant est triste et qu’il a besoin de soutien ou d’être consolé. Pour accompagner l’enfant dans cet apprentissage, il est important de l’aider à mettre des mots sur ses ressentis. Pour cela, des jeux, des affiches ou des livres peuvent être utiles. Cliquez ici pour en savoir plus.
  • Accéder à l’EMPATHIE : un enfant capable de se mettre à la place des autres et de faire preuve de compassion évitera de faire à ses camarades ce qu’il n’aimerait pas qu’on lui fasse. Lors d’un conflit, il aura aussi plus de facilités à parler plutôt que de rester spectateur ou témoin. Pour favoriser l’empathie, s’entraider à la maison peut être un bon début. Par mimétisme, l’enfant aura aussi tendance à épauler les autres et à les soutenir.  Cliquez ici pour en savoir plus.
  • Renforcer l’ESTIME DE SOI : Les victimes comme les harceleurs ont souvent une estime de soi diminuée. Renforcer cette estime passe par une éducation cadrée, basée sur le dialogue et le respect de l’autre. Attention, toutefois, un manque ou un excès d’estime de soi peut entraîner les mêmes conséquences… 

L’approche d’une psychopraticienne

Le harcèlement scolaire peut revêtir différentes formes : physique, verbal, psychologique ou social. Ses conséquences sont graves, et peuvent entraîner une perte d’estime de soi, un isolement progressif, voire l’apparition de troubles dépressifs. C’est pourquoi il peut être intéressant de consulter un spécialiste qui cherchera à libérer la parole des victimes, en les aidant notamment à rapporter ce qui se passe dans la cour. «Ces enfants sont parfois tellement tournés à l’intérieur d’eux-mêmes qu’ils ne parviennent pas à nous raconter le déroulement de leur récré, nous dit Amélie Devaux. Alors, en consultation, nous rejouons avec eux les situations vécues à travers des jeux de rôle. Et nous leur demandons : “Là, qu’est-ce que tu aurais pu dire ou répondre ?” Nous les accompagnons pour préparer ce que nous appelons des “flèches” : apprendre à avoir le dernier mot, en quelque sorte. Il me semble important de placer l’enfant dans la position de trouver une solution par rapport à la situation qu’il vit. » Mais il est aussi, selon la psychopraticienne, très important de valider les émotions de l’enfant, car « le harcèlement les immobilise et prive les victimes de toute leur énergie. Il faut leur montrer qu’ils ont le droit d’être en colère contre ce qui leur arrive ». 

Des séances d’empathie à l’école

Depuis la rentrée 2024, des cours d’empathie sont généralisés dans les écoles maternelles et élémentaires afin de lutter contre le harcèlement scolaire. L’objectif est de développer les compétences psychosociales des plus petits et d’améliorer la qualité des relations entre les élèves. Pour accompagner ces séances hebdomadaires, les enseignants disposent de kits pédagogiques conçus par la Dgesco*. Au programme : des activités pour reconnaître les émotions, à l’aide notamment d’un jeu de cartes, mais aussi des exercices pour développer la communication. Par exemple, un élève partage une expérience positive ou négative qu’il a vécue, puis un camarade reformule ce qu’il a compris de ce récit avec ses propres mots. De quoi encourager l’écoute et aider les élèves à mieux saisir ce que l’autre ressent. Les exercices proposés sont donc nombreux et prometteurs pour freiner les violences à l’école ! 

(*direction générale de l’enseignement scolaire.)

Texte écrit par Marie Greco d’après les propos recueillis par Isabelle Pouyllau