Comme dans beaucoup de domaines, les bébés sont bien plus forts qu’on ne le croit, et font preuve d’une très grande adaptabilité dès lors qu’on sait les écouter et les entourer. Laurence Rameau, puéricultrice, le rappelle et nous rassure.
Y a-t-il des différences d’adaptation chez une nounou et à la crèche ?
Laurence Rameau : Si on se place du point de vue de l’enfant, c’est exactement la même chose. Pour lui, c’est un autre lieu de vie, par rapport à sa maison. Ce qui va être important, c’est de faire connaissance avec ce nouveau lieu. Et ça, ce n’est pas plus long chez une nounou ou à la crèche.
Les tout-petits ont-ils besoin de s’adapter aux lieux ?
L. R. : Oui. Un bébé découvre le monde en priorité avec ses sens. Les odeurs, les couleurs, le toucher, l’atmosphère peuvent être différents de chez lui. Mais ce bébé n’est pas comme un adulte qui a du mal à déménager après 15 ans dans une maison ! On projette beaucoup, en tant qu’adulte, sur cette difficulté à s’adapter à la nouveauté. Le monde entier est nouveau pour un bébé. Donc, lui, finalement, est préparé à découvrir toute cette nouveauté. C’est donc souvent plus dur pour les parents que pour leur enfant…
Y a-t-il des étapes à suivre ?
L. R. : Il y a deux critères à prendre en compte. D’abord, la façon dont les parents ont envie de procéder : est-ce qu’ils ont envie de prendre le temps, est-ce qu’ils en ont, car ce n’est pas toujours possible, etc. Puis, il faut garder à l’esprit qu’un bébé va « comprendre » le monde par la régularité des événements et non pas par leur progressivité. C’est une grosse erreur que l’on a faite pendant longtemps : y aller tout doucement, progressivement. Si on ajoute chaque jour une nouveauté (comme la sieste, le repas, etc.), cela signifie pour l’enfant que chaque jour est différent. Et ça, c’est compliqué pour lui. Ce qui va rassurer un bébé, c’est ce qui ressemble à ce qu’il a déjà vu. Si on adopte un déroulement de journée le premier jour et qu’on le répète le deuxième, il va déduire que le troisième sera équivalent. Et cette régularité va le rassurer et lui permettre de comprendre ce qui se passe. La nouveauté intéresse les bébés et la régularité les rassure.
Y a-t-il des âges préférables ou, au contraire, à éviter ?
L. R. : La régularité est valable pour chaque âge. Vers 8 mois (cette fameuse période de « l’angoisse de séparation »), les bébés distinguent bien les visages. Et notamment les visages connus ou inconnus. Or, dans un nouveau lieu et face à de nouveaux visages, l’enfant va forcément beaucoup plus réagir qu’à 6 mois… mais c’est tout ! Si cette nouvelle personne s’occupe de lui, le fait manger, le couche, le câline, au bout d’un moment cette personne-là n’est plus nouvelle et fait alors partie de sa vie sensorielle.
Cela prend combien de temps ?
L. R. : Cela dépend des enfants. Les chercheurs estiment qu’il faut environ 3 jours, pour qu’un bébé intègre une nouvelle personne comme figure d’attachement possible. Cela ne veut pas dire qu’il ne pleurera pas quand les parents partiront. Mais pleurer à ce moment-là n’est pas signe qu’il va mal ! Cela veut juste dire qu’il ne veut pas quitter son parent. Il va alors se familiariser avec de nouvelles personnes, qui vont se familiariser avec lui… et entre elles ! J’aime parler de « période de familiarisation ». Ce temps va être spécifique pour chacun. Pour certaines familles, cela va être très rapide. Pour d’autres, il faudra plus de temps pour apprendre à se connaître. Et on ne peut pas le déterminer à l’avance.
Quels sont alors les signes que ça se passe bien ?
L. R. : Quand l’enfant continue à manger correctement, à dormir correctement et qu’il continue de jouer. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas non plus une catastrophe. Cela veut dire qu’il faut prendre un peu plus de temps. Si le bébé refuse de jouer, mais accepte d’être dans les bras d’une nouvelle personne, c’est qu’il va bien. Cela peut parfois durer un mois, mais cela est valable pour tous les âges, entre 0 et 3 ans.
Il faut donc persévérer…
L. R. : Oui. Il faut que les parents fassent confiance aux professionnels pour faire leur travail et pour apprivoiser leurs enfants. Et aux professionnels de raconter aux parents exactement ce qu’il se passe : « Aujourd’hui, il a peu dormi, mais il a accepté mes bras », « Aujourd’hui, il a peu mangé, mais il a quand même pris son goûter ». Il faut que les parents soient à l’écoute de toute cette progression.
ADAPTATION ET COVID-19 ?
À l’heure où ce dossier est réalisé, les parents ne peuvent plus passer trop de temps à l’intérieur des crèches. « Les professionnels le déplorent, explique Laurence Rameau, car les enfants ont besoin de ce moment transitionnel où ils sentent qu’il y a une alliance entre parents et professionnels. Et ça, c’est un problème qui peut causer des difficultés à la séparation et même aux retrouvailles… »
Est-ce qu’il faut expliquer à son bébé ce changement ?
L. R. : Je pense qu’il faut toujours parler à son bébé de ce qui va lui arriver. L’important, c’est d’être heureux pour lui ! Si on lui présente le côté négatif, « Je n’ai pas envie de retourner travailler, mais il faut que je te laisse », votre bébé sentira ce qui est contraignant et non satisfaisant pour vous. Si on n’est pas ravi de retourner travailler, mais qu’on est content d’avoir trouvé la nounou dont on rêvait, d’avoir une place en crèche, ça aussi, il le sentira… On n’élève pas un enfant tout seul : c’est bien d’avoir des personnes-relais qui vont participer à son éducation. C’est reposant pour les parents et c’est aussi une ouverture pour l’enfant. « Apprendre » plusieurs personnes et lieux relationnels, c’est comme apprendre plusieurs langues !
Comment dose-t-on la relation avec son assistante maternelle ?
L. R. : Il faut avoir un maximum de confiance en la nounou et être capable de se dire « je lui confie volontiers mon enfant ». Si vous vous sentez bien auprès d’elle et chez elle, ce sera aussi le cas pour votre enfant. Certaines familles ont des liens très forts, amicaux, avec leur assistante maternelle. Pour d’autres, ce sera un lien de confiance, mais peut-être pas aussi fort. Et ce n’est pas parce que le lien est plus distancié que les nounous travailleront moins bien ! Ce sont avant tout des personnes qui se rencontrent…
Propos recueillis par Isabelle Pouyllau
Laurence Rameau est puéricultrice et intervient dans de nombreuses crèches. Elle est notamment l’auteur de Dormir comme un bébé, aux éditions First.
Illustration : © Laurent Simon. Photo : Adobe Stock et DR.