L’actualité est partout, à la télé, à la radio, dans les journaux… Les enfants y sont exposés malgré la vigilance de leurs parents. Nous avons interrogé Serge Tisseron, psychiatre, auteur des livres 3-6-9-12 apprivoiser les écrans et grandir et du Guide de survie pour accros aux écrans… ou comment garder à la fois ton ordi et tes parents.
À quel âge peut-on parler de l’actualité avec les enfants ?
Serge Tisseron : Les enfants entendent en permanence parler de l’actualité et ils peuvent en voir des images bien ailleurs que dans la famille. En maternelle et en début d’élémentaire, un enfant malmené par des images d’actualité peut en parler de façon maltraitante à ses camarades. Et dès la fin de l’élémentaire, et plus encore au collège, un enfant peut être confronté à des images d’actualité montrées par les camarades qui possèdent un smartphone.
Comment en parler alors ?
La première des choses à faire est de savoir ce que l’enfant a entendu et compris de l’actualité. La seconde est de lui donner des repères pour qu’il commence à penser l’événement selon des catégories objectives partagées avec l’adulte. Cela est d’autant plus important que ces informations lui permettront de gérer les nouveaux événements d’actualité possiblement traumatiques avec plus de recul et plus de maîtrise.
Et pour les plus jeunes, comment aborder le sujet ?
Sur le petit écran, il est essentiel de leur apprendre à identifier les cases d’actualité, de publicité et de fiction. Tous les adultes sont familiers de la succession, à la télé, de ces trois catégories, mais il n’en est pas de même pour les jeunes enfants. On se souvient que le 11 septembre 2001, beaucoup d’enfants ont d’abord cru que les avions percutant des tours appartenaient à un film de fiction. On devrait apprendre aux enfants à distinguer les images d’actualité, de publicité et de fiction dès l’école maternelle. Les parents peuvent aussi y contribuer. Évidemment, les choses sont plus complexes, mais cela, l’enfant le découvrira plus tard !
Pourtant, de nombreuses familles regardent les infos à la télévision…
Avant 9 ans, il n’y a pas de raison d’installer un enfant devant le journal télévisé de 20 heures. Certaines images, difficile à supporter pour les adultes, peuvent l’être encore plus pour lui. Et certaines images peuvent aussi le malmener gravement du fait de ses expériences personnelles du monde sans que l’adulte s’en rende compte et puisse donc avoir l’idée d’en parler avec lui. Par exemple, l’image d’une tétine pleine de terre retrouvée sur une plage après un tsunami ou une peluche au milieu des gravats après un bombardement peuvent l’impressionner terriblement.
Et après 9 ans ?
Après 9 ans, si un enfant demande à voir le journal télévisé, il n’y a pas de raison de s’y opposer, mais il est important de le mettre en garde concernant la violence de certaines images, lui dire qu’il peut quitter la pièce à tout moment, et parler ensuite avec lui de ce qu’il a vu. Pour la même raison, évitons de regarder le JT pendant le repas du soir. L’enfant y serait pris en otage devant son assiette. Et c’est en plus le meilleur moment pour les échanges familiaux.
Et en ce qui concerne la radio ou les journaux ? Les mots peuvent aussi bouleverser, non ?
De façon générale, si l’enfant écoute les informations ou en lit en notre présence, demandons-lui d’abord ce qu’il en a compris. Je me souviens d’une petite fille noire qui avait entendu que les Américains étaient en Irak pour s’emparer de « l’or noir » et qui pensait qu’il s’agissait de nouveaux esclaves ! Après avoir demandé à l’enfant ce qu’il a compris, la deuxième chose à faire est de lui donner des repères, notamment des repères géographiques et sémantiques. Un globe terrestre et un dictionnaire seront bien utiles pour lui apporter des précisions.
Il existe une presse d’actualité pour les enfants, comme l’hebdo 1jour1actu. Quel est le principal bénéfice de ce support ?
Tout ce qui permet aux parents et aux pédagogues de faire référence à une autre source d’information qu’à eux-mêmes est bienvenu. Cela permet en outre de valoriser l’écrit comme une source d’information à laquelle il est possible de revenir aussi souvent que possible pour permettre de prendre du recul par rapport aux images.
Comment parler d’un événement tragique dont tout le monde parle ?
Évitons d’abord de constituer un enfant en confident de nos émotions. Cela l’angoisserait autant que nous, voire plus encore. Si nous sommes submergés par l’angoisse face à un événement d’actualité, parlons-en d’abord à un autre adulte, proche ou thérapeute. Une fois la charge émotionnelle de l’événement initial réduite, il devient possible de parler de façon raisonnable de l’actualité aux enfants. Mais le risque que l’adulte envahisse les enfants par ses propres émotions n’est pas le seul quand on veut leur parler de l’actualité. Un autre écueil guette : parler de façon froide et distante, car cela pourrait laisser croire aux enfants qu’il faut qu’ils se comportent de la même façon pour devenir adultes. Le risque serait de leur apprendre à notre insu à se cacher à eux-mêmes leurs propres émotions, et à perdre finalement le contact avec elles.
Peut-on parler de tout ce qui s’est passé ?
Quand nous parlons d’événements violents de l’actualité, ne parlons pas seulement des images terribles que les médias nous montrent, car la violence a toujours deux facettes. La première, et la plus spectaculaire, est évidemment celle qui est la plus montrée par les médias : une voiture qui brûle, un canon qui tire, un sniper qui vise un civil… Mais d’autres images que nous voyons moins constituent elles aussi le quotidien de la guerre : les camions d’aide alimentaire qui nourrissent les populations au péril de la vie de leur conducteur, les sauveteurs qui lèvent un drapeau blanc en espérant qu’on ne leur tire pas dessus pendant qu’ils portent secours aux blessés, les médecins et les infirmières qui tentent de soulager les souffrances et de prolonger les vies dans des conditions souvent tragiques, etc.
Pour quelle raison ?
L’enfant a plus encore besoin que l’adulte de penser que le monde sera plus beau demain qu’aujourd’hui, puisque c’est celui dans lequel il vivra. Et tout ce qui peut être présenté par l’adulte comme un signe avant-coureur de cette évolution est le bienvenu. L’enfant y puise de la confiance dans le monde, et si cette empathie et cette compassion lui sont présentées par son parent, il développe également de la confiance dans celui-ci.
Propos recueillis par Norédine Benazdia
Serge Tisseron est psychiatre et membre de l’Académie des technologies.
3-6-9-12 apprivoiser les écrans et grandir, Érès, 2013.
Guide de survie pour accros aux écrans… ou comment garder à la fois ton ordi et tes parents, Nathan, 2015.