Suite aux attentats du vendredi 13 novembre à Paris, nous avons demandé à Marcel Rufo, pédopsychiatre, de nous donner des conseils sur la meilleure manière de parler de ces événements tragiques à nos enfants.
Faut-il faire le premier pas et parler des attentats aux enfants, ou vaut-il mieux attendre qu’ils nous en parlent ?
Marcel Rufo : Honnêtement, si vous pensez que vos enfants ne sont pas au courant, vous vous leurrez. Il ne faut pas réfléchir comme ça. Les enfants perçoivent quand quelque chose ne va pas. Ils ressentent votre tension, vos émotions. Le premier risque, c’est de ne pas en parler ; ça les inquiéterait encore plus.
Comment devons-nous adapter notre discours selon les âges ?
Pour les 2 à 5 ans, l’histoire des assassinats ne signifie pas grand-chose, car la notion de mort n’est pas acquise. Les enfants sont d’extraordinaires récepteurs des émotions que nous pouvons manifester. Ce qui les inquiète, c’est notre malaise. Il faut donc faire très attention à notre manière de communiquer. Il faut parler sereinement et calmement. Si vous êtes inquiets, votre enfant le sera aussi.
À partir de 5 ans, jusqu’à 7 ou 8 ans, les enfants ont intégré l’idée de mort. Il faut donc être particulièrement attentif à leur anxiété. Il y a des enfants très sensibles à cette notion, et avec eux, il faut être prudent dans les discussions répétitives.
Pour les autres, plus grands et en primaire, il faut leur parler clairement, avec des mots vrais, même si vous devez manifester votre émotion. On a le droit d’être ému. Et ouvrez le dialogue en demandant par exemple : « De quoi avez-vous parlé avec les professeurs des écoles, après la minute de silence ? »
Pour les adolescents, il faut s’intéresser à ce qu’ils ont lu, leur demander : « Dis-moi ce que tu as vu ou lu sur les réseaux sociaux. » Avec eux, il faut ouvrir la discussion de fond. Pourquoi cela est-il arrivé ? Qui sont ces jeunes gens qui décident de mourir au nom d’une cause délirante ?
Pour tous, il faut rappeler la notion civique de nation. Il faut rappeler que nous sommes une nation de liberté, d’égalité et de fraternité, et que de toute façon, nous sommes imbattables. On gagnera toujours. Et il faut rassurer dans l’intimité. Rappeler que nous sommes là en tant que parents pour les protéger. Il faut dire : « Je suis là pour te protéger », même si on a des doutes sur le hasard des événements que l’on peut malheureusement rencontrer.
Quels types de détails peut-on donner à un enfant ?
Les détails ne sont pas très importants. Ce qu’ils attendent, c’est un discours ouvert. Il ne faut pas exclure les enfants. Il faut leur dire qu’il s’est passé une chose terrible. Que des gens ont assassiné d’autres gens, que ces gens avaient des armes de guerre, que les autres n’en avaient pas. Et c’est arrivé parce qu’ils pensent qu’on est leurs ennemis.
Que faire si l’enfant ne réagit pas, faut-il lui poser des questions pour connaître son ressenti ?
Il faut lui dire qu’on attend sa réaction, mais qu’il a le droit de ne pas réagir. Il peut aussi en parler plus tard, s’il le souhaite. Il faut juste être vigilant et vérifier qu’il n’y ait pas un changement de comportement étonnant chez l’enfant. Par exemple, une petite fille gentille qui devient agressive ; un gosse un peu turbulent qui reste sidéré et ne bouge plus. Dans ces cas-là, ils méritent une consultation spécialisée. Il y a des cellules psychologiques pour les gens qui ont assisté aux attentats ou qui y ont été mêlés. Mais le droit aux soins appartient aussi aux enfants pour lesquels on sent un changement d’attitude et de comportement.
Que répond-on à un enfant qui pose la question : « Est-ce que ma famille peut être touchée ? »
Il faut lui dire : « Non, je suis là pour te protéger, et personne ne nous fera de mal. » Quand on est adulte, on a le droit d’avoir des craintes, c’est normal. Mais nous n’avons pas à transmettre nos craintes à nos enfants. Surtout que, souvent, ces craintes sont irrationnelles. Il faut savoir quelle est la part de risque à prendre. Et le risque d’être optimiste est certainement moins dangereux pour l’enfant que le risque d’être pessimiste.
Et si l’enfant est vraiment effrayé, comment le rassurer ?
Si l’enfant est très effrayé, c’est qu’il est fragile et que son état antérieur nécessite des soins psychologiques.
Peut-on regarder les actualités à la télévision, le soir, avec ses enfants ?
Je pense que le moment est venu pour les parents d’éteindre la télévision et de parler vraiment. Comme pour la minute de silence, faisons quelques jours de silence télévisuel.
Et la radio ?
La radio est plus intimiste, on peut écouter la radio en pensant. Je crois que la radio est moins menaçante que l’aspect hypnotique de la télévision. Les images peuvent hanter les enfants.
En tant que clinicien, vous voyez souvent des enfants choqués par l’actualité ?
J’ai vu des parents qui m’ont amené leurs enfants car ils n’avaient pas dormi. Les enfants avaient peur de méchants qui viennent avec des fusils chez eux. Mais ça fait partie des phobies de l’enfance, de croire ça. On pense toujours qu’il y a un méchant qui se cache de l’autre côté de la porte. Ça fait partie du développement normal de l’enfant. J’ai beaucoup rassuré ces parents en disant que les événements avaient un peu accentué une dimension de peur naturelle chez l’enfant.
Ces attentats ont touché toutes les notions de plaisir de l’enfant : aller à une manifestation sportive avec ses parents ; aller écouter de la musique ; aller au restaurant, manger dehors, être festif, ça renvoie aux enfants tués dans l’école à Toulouse et au meurtre des dessinateurs qui sont les vedettes des enfants. On ne peut pas dire que les enfants ne sont pas au courant. Les enfants participent avec le reste de la nation à l’émotion, à l’effroi, à la peine. Ils sont avec nous et non pas en dehors de nous. Il faut donc les accompagner en tant que parents responsables.
Propos recueillis par Norédine Benazdia
Illustrations : Jacques Azam
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