Peur, culpabilité, honte, les enfants peuvent ressentir des émotions fortes après l’annonce de la fermeture de leur école. Comment en parler avec eux ? Comment les rassurer ? Et comment vivre ce confinement de manière enrichissante ? Brune de Bérail, psychologue clinicienne et docteure en psychopathologie, a répondu à toutes ces interrogations.

 

 

Quand on annonce aux enfants que leur école est fermée, ils peuvent avoir des réactions très différentes, pourquoi ?

Brune de Bérail : Ce qui embête les enfants, c’est qu’ils sont privés de ce qu’ils connaissent. Ils sont privés de l’école, de leurs amis, de leurs activités, de leurs sorties. Ils éprouvent un sentiment de vide. Pour que ça devienne plus tolérable pour eux, il vaut mieux leur donner du concret en répondant à des interrogations naturelles : qui les gardera, que feront-ils pendant la journée, pourront-ils sortir au parc, appeler leurs amis ? Ces réponses leur permettront de visualiser et de se projeter, ce sera moins angoissant pour eux.

 

Quelles sont les émotions qu’ils peuvent ressentir une fois que l’annonce de la fermeture des écoles est faite ?

La première émotion qu’ils peuvent ressentir, c’est la peur. Si on prend des mesures aussi fortes que de fermer leur école, alors que l’école est un élément très important de leur vie, c’est que la situation doit être grave. Il faut donc rassurer l’enfant, en lui donnant des informations vraies et factuelles. Pour cela, il vaut mieux éviter de regarder les journaux télévisés en boucle. Puisque la répétition peut créer un climat angoissant. Il vaut mieux se centrer sur le concret et expliquer ce qu’est une maladie et comment on en guérit. (Ndlr : Voir notre article comment parler du coronavirus aux enfants ?)

 

Et si les parents ont peur aussi ?

Avoir peur est normal. Face à un phénomène nouveau, il y a toujours une surestimation du danger. C’est un mécanisme humain de survie. Si vous croisez un gros insecte pour la première fois, c’est normal d’avoir peur, que cet insecte soit inoffensif ou non le premier mouvement, adapté, est de s’en protéger. Dans le cas du Covid-19 et de la fermeture des écoles, comme personne n’a vécu un confinement, il est normal que des parents puissent éprouver de la peur aussi. Mais il vaut mieux éviter de la partager avec ses enfants parce qu’elle n’est pas rationnelle et que le danger peut être largement surestimé. Il faut se rassurer en restant concrets, sans céder à la panique. Ce qui est rationnel, c’est que dans la très grande majorité des cas, les personnes atteintes n’ont pas de symptômes ou n’éprouvent aucune complication. Le confinement est une mesure de précaution qui est utile pour que trop de monde n’attrape pas le virus en même temps et que les médecins aient le temps de soigner chacun.

 

Que peuvent-ils ressentir d’autres ?

L’autre sentiment que l’enfant peut ressentir est la culpabilité. Il peut se sentir puni, comme s’il avait fait une bêtise. Il peut se demander ce qu’il a fait de mal pour mériter d’être confiné. Et il peut éprouver un sentiment d’injustice. Il peut se sentir coupable, être en colère, éprouver de la honte d’être potentiellement porteur d’un virus qui pourrait s’avérer dangereux pour son papi ou sa mamie. Même si ces sentiments peuvent sembler excessifs, il faut que les parents soient conscients de cette possibilité pour que les enfants puissent les exprimer. Après les avoir entendus, les parents peuvent répondre et expliquer qu’il s’agit simplement de mesures de précaution pour tout le monde, pour tous les enfants de France, et que les enfants ne sont pas responsables ou fautifs. L’enfant peut trouver cette situation pénible et injuste. Mais ce n’est pas une question de morale, de ce qui est bien ou mal. Il s’agit de mesures préventives décidées par les scientifiques.

 

Certains parents voudront éviter les contacts avec leur bébé de crainte de le contaminer sans le savoir, est-ce une bonne chose ?

Dans la cellule familiale, il est presque impossible d’éviter les contacts et ce n’est pas souhaitable. Il vaut mieux éviter les contacts à l’extérieur en adoptant les gestes barrières. Pour les parents avec de très jeunes enfants, il ne faut pas limiter les contacts physiques, sauf condition de santé très particulière. Pour son bon développement, un bébé a besoin de contacts physiques avec ses parents. Il peut y avoir des effets secondaires graves si, du jour au lendemain, un bébé n’est plus pris dans les bras ou stimulé. Les parents qui ont peur de transmettre une maladie peuvent prendre une douche en arrivant, changer de vêtements et éviter les bisous, mais il est important qu’ils prennent leur enfant dans les bras.

 

Maintenant que les enfants sont à la maison, que faut-il leur dire ?  

Il faut leur dire que même si l’école est fermée, l’éducation continue. C’est le parent qui est l’organisateur et le garant du cadre, des limites, du rythme. Il doit mettre en place une routine. On se lève le matin. On fait l’école à un horaire déterminé, car la maîtresse ou le maître va mettre les devoirs en ligne. Il faut des temps de récréation. Les repas se prennent ensemble et pas chacun dans un coin.

 

Il y a des activités à ajouter pour que cette période de confinement se déroule bien ?

Il faut appliquer un mode de vie assez proche de celui des astronautes dans la Station spatiale. Un élément essentiel est de pratiquer des activités sportives. Non seulement parce que les enfants se dépensent énormément à l’école et que ça va leur manquer, mais aussi d’un point de vue psychique, car cela leur fait du bien. L’autre élément à ajouter est une activité artistique. Le confinement est supportable s’il y a une alternance entre les activités intellectuelles, physiques et artistiques.

 

Au bout d’un moment, les enfants vont avoir envie de voir leurs amis ?

C’est vrai. Les enfants sont avec leurs parents, pas avec leurs copains. Comme il faut respecter le confinement, il faut limiter les interactions au cercle proche pour éviter une propagation du virus et surcharger les hôpitaux. Mais cela ne signifie pas que les enfants ne doivent avoir aucune nouvelle de leurs copains ou copines. Ils peuvent s’écrire des lettres, s’envoyer des courriels, utiliser un logiciel de visioconférence, s’envoyer des photos de leurs activités. À eux de trouver un nouveau moyen de communiquer avec leurs camarades.

 

Il peut y avoir des tensions au sein de la famille ?

Le principal problème du confinement n’est pas seulement d’être coupé du monde mais aussi d’être trop les uns sur les autres !  Dans la journée, il faut prévoir des moments de solitude, créer des espaces et les respecter. Et les parents doivent aussi exprimer leur besoin de temps de solitude. Cela permet d’être plus calme et plus tolérant.

 

Et que peut-on faire pour soi pour traverser cette période compliquée ?

Et si on en profitait pour mettre ce temps à profit ? Pas besoin d’imaginer des choses compliquées qui se révèleraient irréalistes au bout de quelques jours. Pourquoi ne pas tenter une nouvelle recette chaque jour, apprendre à bricoler, apprendre la langue des signes ou les bases d’une langue étrangère ? L’idée est d’en profiter pour se dire qu’on va faire quelque chose de nouveau. Cette période peut être l’occasion d’une nouvelle aventure, une opportunité pour réaliser une chose qu’on a toujours eu envie d’essayer. Et vous verrez que le temps passe plus vite.

Propos recueillis par Norédine Benazdia

 

 

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